On sait très peu de choses à propos du letton Oyaarss, si ce n’est qu’il a collaboré avec Cloaks, Amenra et qu’il a remixé des pièces plus classiques de son compatriote Peteris Vasks ou du polonais Zbigniew Preisner. Le label berlinois Ad Noiseam, qui refuse la sectorisation mais perpétue un certain sillon viril dubstep, lui donne l’occasion d’accéder à une toute autre visibilité que celle qu’il avait pu s’offrir au moment de son premier effort : Smaida Greizi Nakamiba. Bads est sorti le mois dernier. Il fallait bien quelques semaines pour correctement le digérer.
Outre la profonde musicalité de la langue lettone, Oyaarss propose sur Bads une véritable démonstration de torture infligée au beat. Les lacérations qu’il crée sur ses mélodies arides ont l’intelligence et la sauvagerie de tourner leur lame dans les chaires pour maintenir ouvertes les plaies. L’ajout de jus de citron en compresse ne s’imposait pas forcément, mais pourquoi faire les choses à moitié ? Oyaarss tire son vinaigre saumâtre des raisins de sa propre colère. Les parfums d’infusions de bêtes claquées et l’ambiance délétère transpose l’auditeur en territoire hostile, véritable doom-like où il est possible de défourailler à souhait sur des gargouilles vérolées. Qu’Ad Noiseam dorme tranquille, Anders Behring Breivik ne s’est pas inspiré de Bads pour mener sa purge anti-bolchévique à Utoya-les-bains.
Voilà longtemps qu’on n’avait pas entendu dans ces sphères, un truc aussi gratuitement violent et puissant. Nul doute que le petit Oyaarss fut nourri dès sa plus tendre enfance de metal hurlant et dissonant. Pas le temps de se reposer sur un héritage 4/4 suranné, il puise sa vélocité dans les mécanismes concassés du breakcore et du dubstep. Tout cela n’est pas très subtil, c’est très bien parce que c’est pas du tout le but. Oyaarss guérit les céphalées à coup de parpaings, de fractures et de désorientation rythmique.
Le beat, objet de toute les délectations électroniques, se recroqueville ici dans des postures foetales pour retarder sa chute certaine dans les flammes de la purification, sacrifié sur l’autel de la distorsion. Ce n’est pas un album, c’est une boucherie. L’élément abstrait parviendra fièrement à retenir ses ultimes couinements jusqu’aux assauts sans pitié de Malduguns. Si ce titre écrase littéralement et en toute logique l’ensemble homogène, c’est sans doute parce qu’il fallait bien trouver un germe de soja liant le steack haché au couteau, un point d’orgue dans l’anarchie. Bien sûr tous les autres titres profitent à moindre échéance de ce climat décharné, citons donc Dimba et sa plainte haletante conclue en noise libérée, ou les cauchemardesques 15 pilieni paties ïbas, Rigas ielas blüzs ou Un saule aus is dienvidos. La dernière minute de la fermeture sur Ziemeli révélera même des allures de paix après l’apocalypse. On en sort aussi éreinté que conquis.
Un truc pareil pourrait prendre une dimension supplémentaire en live. Pas sûr que le mec s’y risque, même si le Maschinenfest pourrait en être l’idéale occasion. Boucherie grossière plus que recommandée.