Oren Ambarchi, voici un nom qui ne dit probablement rien à nos habituels lecteurs. Encore que. Quand on place son nom aux côtés de ceux de Fennesz, John Zorn, Pimmon, Jim O’Rourke, Merzbow et même les princes du drone noir Sunn 0))), le guitariste percussionniste et manipulateur de son australien (d’origine irakienne) ravive un certain intérêt, car tous les gens cités précédemment ont été ses collaborateurs. Le choix du label aussi, relève de tout sauf du hasard. Touch, maison britannique qui fête ses 30 ans cette année, a ouvert ses portes à des gens comme Mika Vainio, Biosphere, Chris Watson, Hildur Guonadottir, Lawrence English et Fennesz (oui, encore lui). Toute cette petite séance de name dropping facile pour rappeler toute l’importance de Oren Ambarchi et de ses travaux. Lui qui plaque son empreinte aussi inclassable que identifiable sur chacun de ses disques. Son dernier en date, In The Pendulum’s Embrace, mérite aussi toute l’attention.
Si le corps de Audience Of One paraît harmonieux et gracile, il contient pourtant une protubérance malade, disgracieuse et finalement majoritaire, puisque sa deuxième partie représente en terme de temps plus de la moitié de l’oeuvre.
L’écrin débute avec élégance et majesté sur Salt, portant les différentes couches de la voix chaude et raffinée de Paul Duncan vers des cimes délicates et minimalistes. On reconnait à peine les cordes (guitares, viole et violon), entourées des notes rondes issues d’un piano sûrement électrique, tant Ambarchi leur fait subir d’arrangements et de textures. Point de zèle ici précisons le, la paix n’est simplement pas la seule arme de sa guitare, mais nous aurons l’occasion d’en reparler. On aura en tous cas compris dès le premier morceau que le travail d’enregistrement et d’arrangement, est ici poussé jusqu’aux rangs de l’excellence. Ambarchi n’est pas mégalo, il a compris que confier les différentes parties (vocales, autres cordes que guitares, batteries et percussions) à des spécialistes pouvait servir sa musique et même, la sublimer.
L’exemple le plus pertinent réside sur le magnifique Passage, quand les microphones de contact creusent l’oreille interne droite en même temps qu’ils caressent la gauche, que les voix et les drones de cordes s’emboîtent dans un coït langoureux et sec. Les différents bruissements, le piano hésitant mais essentiel, entament une partie de cache-cache avec les silences. Les verres à vins se noient dans des ondes volatiles et fugaces tandis que la viole lance sa plainte. Le temps des larmes et de la prosternation est venu.
Le mix est si bien fait qu’on entend à peine venir les cordes folk et la pulsation métronomique de l’ascensionnel Fractured Mirror, qui emprunte plus que les même chemins que le Teardrop de Massive Attack. Le titre est certes magnifique, surtout quand les voix se perdent dans les volutes opaques du mellotron, mais contient malgré tout une certaine longueur.
Voilà pour la volupté et la délicatesse, passons désormais au génie et à la violence.
Knots dure plus de trente minutes. Son schéma, comparable à un caryotype de quintet malade, s’étire à souhait jusqu’à rendre fou celui qui y frotte sa cage à miel. Non, un grillon n’y bouffe pas lentement les cables des amplis pour s’y recroqueviller ensuite. Ce ne sont que des basses fréquences qui couvrent l’inhumanité du batteur virtuose Joe Talia (avec qui Ambarchi avait déjà improvisé sur Hit & Run en 2011). Les drones se heurtent et font péter les spectres comme des anévrismes. Le cor sonne l’appel à la traque vers les abysses comme dans le Carboniferous de Zu. La jam franchit ensuite une nouvelle barrière, entre le kraut et le noise. Je veux voir ce track en live et mourir ensuite, en arborant la béatitude de ceux qui ont les codes sources du priapisme musical. Le batteur paraît alors aidé par un alter-ego invisible. Ce type doit avoir des avant-bras épais comme des troncs d’arbres. Les bourrasques électriques annonçaient forcément une accalmie dans la lutte sans merci des différents éléments, celle-ci, débutant à l’orée de la 27ème minute, ne sera que de courte durée. Oren Ambarchi saisit sa gratte et lui fait dégueuler des larsens et des saturations aux allures digitales. Des rafales de grenailles hybrides dont l’origine est issue d’un instrument que nombreux voudraient qualifier de vintage. Allez dire ça à Christian Fennesz, et à son pote Oren Ambarchi. La musique du 21ème siècle sera expérimentale ou ne sera pas.
Un album essentiel de plus à mettre au crédit du label Touch. Espérons que cet humble chronique achèvera de convaincre ceux qui nous lisent de l’acquérir dans son enveloppe charnelle. Ils se verront gratifiés d’un idéal passeport vers les sentiers de la haute fidélité.