« Il était/sera une fois… »
« Dans mille ans, Gandahar a été détruite et ses habitants massacrés ; il y a mille ans, Gandahar sera sauvée et l’inévitable évité »
Il est question de mémoires tout autant que d’une prophétie. Pour toute personne ayant vu les réalisations de René Laloux, l’entrée dans l’écoute de cet album va probablement évoquer l’ambiance sonore créée par Gabriel Yared pour Gandahar. Que faire avec le présent lorsque le passé tout autant que l’avenir sont par essence immaîtrisables ? Une forme d’innocence dans tout cela ? Elle est moins évidente qu’il n’y paraît. A contrario de son retour à l’état originel et du portrait rousseauiste de ses habitants, le pays de Jasper n’est pas un univers candide. Il crée les conditions de sa propre destruction matérialisée dans la naissance d’un métamorphe. Afin d’en réchapper, de quoi serait donc fait un futur qui s’amalgamerait dans le passé ?
Comme le petit opus dont il est question ici s’adapterait aisément à l’accompagnement d’un film d’animation du même acabit. Car, qu’on ne s’y trompe pas, l’objectif de Noah Ross est bien éloigné d’une naïveté béate. Prenant en compte l’imparable constat que l’esprit humain est d’une subjectivité abyssale et porte en lui l’orgueil de sa propre existence, ce jeune artiste californien s’est décidé à en explorer les méandres de manière incrédule.
Pour ce faire, il n’utilise que des moyens limités : AKAI MPK25 et GarageBand. Tout est pensé Lo-fi et c’est dans cette économie que Novelty Toys déploie son inspiration. Une affection consommée pour les ritournelles délicates se fait jour dès la première écoute. À l’introduction, « Unbirth » fait songer à ces climats éthérés hérités de la musique library des années 70 mais la construction et les rythmiques évoquent les productions du label japonais Schole.
Le goût prononcé pour les micro-tonalités, le glitch et les bleeps se déploie avec « Antetime ». Ce qui frappe au fur et à mesure de la progression, c’est la complexité de la composition. Il semble que la formation de pianiste de l’américain lui offre des potentialités inversement proportionnelles à l’aporie volontaire des moyens techniques qu’il utilise. Les constructions font définitivement pencher la balance vers la minimale et le downtempo. « Nofuture » s’inscrit dans une continuité maîtrisée, imposant des sonorités discordantes qui pourtant font sens et cohérence avec le reste.
Et lorsque l’on s’attarde sur les titres déjà écoutés et les suivants, un élément frappe : la mélancolie douce-amère des titres comme un miroir tendu à l’ambiance sonore créée. Tous évoquent la disparition, le non-advenu, l’utopique… Tous étaient affublés à l’origine d’un numéro cryptique désormais effacé. Cette classification erratique rendait la fugacité envolée autant vaine que nécessaire. Qu’exprime donc cette musique en creux ? Que révèlent ces fragiles instants sonores ? La conscience aiguisée de la vulnérabilité. Et comme, invariablement, tant l’essentiel que le superflu périssent, il convient d’arracher ce qui peut encore l’être. Afin que, dans la contrainte, s’ouvrent des possibilités qui peut-être ne se réaliseront jamais. Une quête de la renaissance sans cesse réactivée.
Au terme de cette série de scènes volontairement enfantines pourrait bien se constituer une saynète charmante et grave qui se plaît à rire de tout comme l’on pourrait rire de soi.