Martin Mikolai aka Stefan Olbricht aka S Olbricht, jeune homme originaire de Budapest et cofondateur du capricieux Farbwechsel, n’est pas monsieur tout le monde. A ce jour auteur d’une dizaine de releases sous divers monikers, le jeune homme plutôt habitué à l’ombre du métro aérien qu’aux feux de la rampe mériterait pourtant que l’on s’attarde sur sa discographie. Prenons pour preuve ses deux longs formats. Tout d’abord, The Last Act Of Dorothy Stratten, sorti en 2002 sur son propre label Farbwechsel, témoignait d’une fougue DIY sans contrainte ni complexe et plus précisément d’un talent certain pour le métissage sonore. Le cul entre Electronica, Leftfield, House, Ambient et mastering Lo Fi, ces pièces ne manquaient pas de rappeler les productions Alter House de mecs comme Ssaliva – sous son moniker Cupp Cave en l’occurrence – ou encore de certaines sorties Opal Tapes – on pense notamment à Huerco S. ou IVVVO –. Ce qui, vous vous en doutez, n’est pas pour froisser qui que ce soit chez nous. Bref, nous pourrions tergiverser des heures pour au final s’avouer à demi voix que cette première cassette éveillait en nous des sensations bien peu communes, faisait preuve d’une sincérité effrontée poussant l’enthousiasme jusqu’à l’arrogance. Un brin d’innocence et deux mesures d’ombre sur de l’étain, voilà à peu près ce à quoi tenait et tient encore la beauté de cette cosmogonie de jardin.
Touchante voire blessante sans verser dans le pathos, la musique de S Olbricht colle aux pompes comme aux tempes, difficile de l’en déloger à vrai dire. A partir de là, inutile de se bander les yeux, nous nous doutions bien que les productions de Martin arriveraient tôt ou tard aux oreilles de Stephen Bishop – fondateur d’Opal Tapes et artisan cassettier de renom –. C’est donc tout naturellement et dans la plus grande discrétion qu’est sortie en Juin 2013 la deuxième cassette du jeune homme, Deutsch Amerikanische Tragödie. Sans pour autant décevoir mais sans créer la surprise, ce deuxième long format officiait dans les mêmes pantones, appuyant toutefois le trait de l’expérimentation. Les percussions, auparavant couvertes de lierres, se fondaient ici un peu plus dans la masse sonore, happées par des soundscapes parfaitement opaques. Fourmillements et tabac brun pour toute horlogerie, nous y étions bien, avachis et verdoyants comme au premier printemps.
Il y avait là à peu près de tout, à peu près tout ce qu’il nous fallait pour passer l’automne et l’hiver sans craindre la faim. Du feu sur les paupières et du Mercure dans les veines – séquelles d’une addiction refoulée -, nous n’attendions rien de particulier de Stefan, Martin – bordel, appelez-le comme bon vous semble –. Et pourtant, en bons enfants pourris gâtés, nous en demandions plus. Et bien nos vœux furent exaucés le mois dernier puisqu’un nouvel opus, collaboratif cette fois, vit le jour. Accompagné par son compatriote Norwell, adepte des expérimentations Synth tendance Electronica old school voire Kosmiche, S sortait un long format, Untitled, sur le très pertinent et jeune label londonien Cleaning Tapes – celui-ci même qui avait sorti en 2013 l’excellent OPA de LBNHRX ou encore l’une des meilleures compilations en termes d’expérimentations Alter House nommée Helical Scans. Nous ne pouvions donc décemment pas ne pas vous en parler.
Le LP, à la différence de ses prédécesseurs, est composé de tracks relativement longues – pas moins de 4 minutes contre 2 sur les précédentes sorties – et est accompagné de quelques remixes pour la plupart assez dispensables soit dit au passage. Loin de trébucher sur l’écueil de la surenchère Synth, le résultat de l’échange de fluides des deux hongrois fonctionne bien, même très bien. Quelque part entre Ambient, Leftfield, Electronica et House, chacun semble trouver sa place sans forcer la porte. Nous évoquions plus haut le métissage des sons, il est ici renforcé par la rencontre de deux styles complémentaires, la clarté vrombissante des synths d’une part et la crasse infantile, le cambouis romantique de l’autre. L’album s’organise, non d’ailleurs ne s’organise pas, mais se désagrège de sorte qu’on y trouve que peu de place pour bazarder notre ennui quotidien. Du Glitch / Electronica scintillant de 62 à la pesanteur nauséabonde de Voagor en passant par les incontournables balles House Leftfield Deck B et Sizt – cette dernière rappelant certaines excursions de Holden sur The Inheritors, chroniqué ici –, tout semble si bien désordonné que nous osons à peine le repeat à la première lecture de peur de froisser quelque chose. Ce bordel dentelé, l’italien OOBE l’a d’ailleurs adroitement capturé sur son remix de Sizt. In fine, tous ces éléments bringuebalés de droite à gauche s’entrechoquent et se répondent. Ils puisent leur force dans le chaos ambiant pour mieux s’en extirper par la suite, pour mieux nous saisir à l’encolure. L’étreinte est aussi brève que frictionnelle. Elle se déroule à l’embrasure de deux univers sonores et pourtant nous aurions juré avoir vogué une éternité en ces lieux, au beau milieu du fatras où tout ceci a été écrit.