Bruno Laborde est courageux, ou inconscient, peut-être les deux. Ce musicien qui a beaucoup fréquenté les scènes et formations industrielles françaises, plus particulièrement alsaciennes en compagnie d’Ex_Tension ou de la clique Audiotrauma, avait signé en 2011 un des plus atypiques et qualitatifs albums jamais parus chez Tympanik Audio : Inward Structures. Pourtant, sans lui faire ombrage, cet album n’a pas connu le succès qu’il méritait. A cela se présentent deux explications. La première est que le genre « industriel » a muté tout azimuts, que chaque sortie peine aujourd’hui à se faire une place face aux nouveaux mastodontes, encore plus quand l’hybridation est poussée à un tel rare stade d’originalité. La deuxième est que Normotone compose une musique nichée dans la niche même, ne possédant pas ces « marqueurs » classiques prompts à fédérer, y compris même dans le camp de l’irréductible soldatesque casquée industrielle. L’aujourd’hui résident bernois ne se décourage pourtant pas, malgré une fin de non recevoir d’un Tympanik passé à autre chose (si quelqu’un sait à quoi, il est invité à se faire connaître), il signe son deuxième album sur le sombre et bien nommé label Unknown Pleasures Records.
On ne va pas se mentir, Hiraeth est sévèrement inspiré par les travaux de Ben Frost (plus particulièrement pour ce qui est de la distorsion) et puise sa sève saumâtre dans l’héritage de la légendaire formation dark folk Death In June. Il serait néanmoins malhonnête de le réduire à ses glorieuses influences tant il est foutrement créatif sur le plan purement narratif. L’époque est au concept, peu importe lequel tant qu’il y en a, tandis que les albums racontant des histoires disparaissent peu à peu.
On pourra donc parler ici de sombre fresque, d’une succession d’autels dédiés à l’apocalypse et au désenchantement humain, pas trop (trop) empreints des habituels poncifs pour goths bipolaires défoncés au lithium. Même s’il lui arrive d’intégrer des glitchs pas toujours bienvenus, des larsens un peu gratuits et un ou deux titres un peu plats, Normotone brille surtout dans sa capacité à installer ambiances, climats et fumerolles encapuchonnés, à intégrer une guitare, un violoncelle ou un piano, et surtout à s’entourer de voix particulièrement bien choisis servant particulièrement bien son propos. On saluera donc à deux mains le spoken word d’Usher San (qui se dresse en véritable alternative au non moins excellent Black Sifichi) et le timbre sensuel de Corina Nenuphar (surtout sur Sickest Truth), tout comme la capacité d’un Sonic Area à enluminer un titre faussement anodin (Abandon).
Un maigre regret qui s’ajoutera aux non moins faméliques critiques posées un peu plus haut : le titre Personal Predatories est si excellent qu’il en devient addictif et en écraserait presque tout le reste.
Normotone prouve une nouvelle fois qu’aucune niche n’est suffisamment large pour abriter ses hybridations. Hiraeth est un disque indépendant, sombre et courageux, un de ceux qui méritent plus que jamais votre soutien auditif et financier. Pour qu’il permette à d’autres d’exister.