L’esthète du jour est une énigme. Il parle et se montre peu. Sa musique le fait tellement mieux. On sait qu’il vit non loin des abords de la Garonne, qu’il aime aller capter des sons à l’extérieur. Pourtant, Nebulo transporte un hymne éternel, un de ceux qui colle aux sabots et dont on aimerait parfois se défaire. Automnal, un de ces titres qui même plus de six ans après, est habité de la même immédiate magie. Maculé de grelots cueillis dans les monts sibyllins, et de furie rythmique, brute, abrasive et rêche.
Nebulo fait partie de ces artistes chez qui l’obsession du renouvellement n’est pas une posture éculée. C’est presque une obsession, remplir les pages, mais surtout, savoir les tourner. Voilà pourquoi il ne s’étend que très peu, sur l’émulation intacte provoquée par le titre cité plus haut. Et parce que ce dernier, issu du génialissime Kolia, ne saurait écraser le reste qui suivit, et ce qui reste à venir. Je n’aborderais que très peu le cas du tout aussi indispensable Avutma sorti en 2008, peut-être plus lumineux dans les textures arborées, et certes touché par une dimension un peu plus ambient qui en fait sans aucun doute son oeuvre la plus accessible. C’est sans doute celle vers laquelle je reviens le moins.
Peut-être aussi parce qu’Artefact m’a cuit l’encéphale. Que je suis devenu accro à ce travail si surprenant sur la strate, cette démarche instrumentale qui réfute le « tout technique », le jusqu’au boutisme expérimental et la quête de la fréquence qui tue. Parce que ses atmosphères dérangeantes et totalitaires s’injectent trop bien dans les conduits cérébraux des personnalités morcelées, dont la quête à peine voilée serait de trouver pareille maîtrise dans leur dédale intérieur. Si la chronique part déjà en couilles n’ayez crainte, c’est juste parce que j’écoute Radiogoo après Plasticmare et Batman Dancefloor, au moment même où j’essaie de ne pas brasser du vent. Toujours est-il que Cardiac, son quatrième album, sort aujourd’hui même chez Hymen, et que c’est sans la moindre surprise une tuerie sans nom.
Ceux à qui on prescrit du Crestor feront peut-être le lien entre l’artefact d’hier et le test d’effort aujourd’hui mis en exergue. Les autres n’ont nul besoin de réfléchir, l’échographie est publique, les rivières pourpres en ébullition.
Sans volonté d’exposer un concept trop visible pour se réclamer du terme, Octo déballe les contours d’une générale et surprenante (devrais-je dire fulgurante) arythmie, bien connue chez les sujets au stress. Et pourtant, ça glisse comme papa dans maman. Parce que Nebulo ne nous avait pas encore fait le coup de l’uppercut analogique. Du moins pas comme ça. Pas avec une telle, limpide et extrêmement dynamique coulée. Qui fait que rien ne pète trop à la gueule, si ce n’est l’impressionnante cohérence de l’ensemble. Et cela malgré le fait qu’on ne saurait raccrocher le moindre morceau à une quelconque thématique, une identité ou une trajectoire globalisante et monolithique. Et pourtant putain, il paraît que le chaos engendre un équilibre, aussi chaotique soit-il. La fusion des deux, dans les sensations que procurent les premières écoutes, est probablement ce qui désarme le plus.
Parce que Nebulo est revenu à quelque chose de plus libéré, et pas seulement parce qu’il y a probablement ici un travail titanesque de production et d’épuration. Ne serait-ce que ces anodines (au premier abord) notes de pianos sur Asht. Sans faire trop de bruit, elles aèrent terriblement la charge analogique et électrique. Ou comme cette invitation finalement très binaire (assez déconcertante lors des premières écoutes) sur l’impressionnant Redkosh. Deux simples mais évidents exemples, illustrant ce que Nebulo ne se serait jamais autorisé auparavant. Que dire alors de Baikal, de ces courants permanents qui transpercent de part en part, en loucedé et par en dessous, la base transparente et claire dans laquelle Poutine aurait dû se noyer au moins deux fois.
Il y a tout un tas de blaireaux, qui tentent depuis trop longtemps de faire croire qu’une chronique « track by tack » est un acte désespéré. Quand j’ai des albums comme ça entre les mains, je ne désespère plus de rien. J’ai même foi en l’IDM de 2012, c’est dire. Voilà pourquoi je pourrais passer des heures à évoquer l’effervescence rythmique de Fragm. Ou la synthèse parfaite (qui se révélera bien plus tard à sa juste et très haute valeur) qu’est Arcadic, avec ses phénomènes polyrythmiques, ses claps de furieux, ses sages mais vivaces lacérations digitales ainsi que cet usage génial d’un synthétiseur qui vient forcément d’ailleurs. Le tracklist est aussi bien fait que le mastering (en nuance, soulignant les dynamiques). Voilà pourquoi le « tubesque » Smax intervient exactement là où il faut, rappelant l’époque la plus spontanée et la plus ludique du français.
Dans un dernier sursaut, Icon viendra clore l’épopée. Dans un silence qui laisse grogui et orphelin. Cardiac est un ensemble impressionnant. Une couronne de coronaires irriguant le muscle central avec un lot de décharges, de signaux d’alertes et d’afflux d’adrénaline qui devraient laisser les spectateurs de cette « scène » sans le moindre souffle. Hymen et Nebulo se sont mis d’accord pour que cette tuerie monumentale sorte aussi en version vinyle. De quoi réjouir les puristes, et les autres.