Voilà, ça y est, nous avons tous enterré dans une liesse et une opulence relative l’année 2017. Rien de moins pathétique qu’un troupeau de gnous, célébrant le temps qui passe et oubliant que ses outrages nous mènent tous chaque jour un peu plus vers la sénilité. Pourquoi tant d’aigreur introductrice ? Juste parce que mine de rien, ça va faire dix ans que j’écris des trucs sur la musique. Sur Chroniques Electroniques, puis SWQW, et aujourd’hui au sein du goulag auto-géré qu’est L’ombre sur la mesure.
En positivant, je dirais que j’ai fait du chemin depuis mes premiers émois auditifs, pour la plupart centrés autour des samples chevaleresques de Benny B et des ballades subversives de Bon Jovi. En réalité, je déborde d’amertume, car cet exercice chronophage m’a sans doute volé une forme de réussite sociale que j’aurais amplement mérité. Combien de temps passé à creuser les netlabels d’IDM afghane alors que j’aurais pu devenir agent immobilier. Tant de pavés écrits sur d’illustres inconnus, tandis qu’une carrière de stagiaire en CDI m’attendait patiemment chez Tsugi. Là-bas, j’aurais enfin pu évoquer le destin artistique hors du commun de gens comme Yuksek, Nina Kraviz, Para One ou Teki Latex. Avec tout ça, je n’ai pas pris le temps de lire les pages culturelles de Libération, de créer une chaîne youtube « vegan fooding » monétisée, de céder à l’uberisation, ni même d’enfin rencontrer Caroline Fourest à la mosquée.
Comprenez mon émoi dans un silence sépulcral. Merci.
Ceci dit, j’arrive néanmoins à une certaine forme de lassitude et d’épuisement. Dix ans de chroniques musicales, ça veut dire aussi dix ans de limites, qui m’apparaîssent aujourd’hui comme très largement franchies. Pas envie de me répéter, de céder au name dropping et à la foire aux adjectifs, plus l’énergie de devoir à tout prix publier un article journalier avant midi, ni même la malhonnêteté d’écrire en fonction de ce qu’attendrait « ma communauté ». Y a une myriade de webzines français existant sur la toile qui excellent dans la performance du flood et du brassage de vent. Vous n’avez donc pas besoin de moi pour ça, encore moins si votre saint graal se trouve là.
Je vais aujourd’hui avouer que la musique a toujours été mon alibi égoïste pour écrire. Bien ou mal, c’est pas tant la question, la réponse vous appartenant et l’essentiel étant pour moi de ne pas écrire comme ailleurs. J’ai été agréablement surpris de voir comment un documentaire sur l’histoire de l’anarchie pouvait être lu et partagé trois fois plus qu’une sélection musicale annuelle. Je me suis donc dit qu’il était temps pour moi d’écrire un peu moins sur la musique, et un peu plus sur d’autres sujets (qu’il faut encore que je détermine à peu près) puisque l’actuelle mouture du site me le permet. Je vais aussi fermer la section « littérature ». Déjà parce qu’elle est vide, et aussi parce que je ne me fais pas à l’exercice. Peut-être aussi parce qu’après bien trop d’années d’hésitation, il va s’agir de soumettre mes vélleités romancières au monde de l’édition. Il est donc aussi temps pour moi d’écrire hors des internets. Veuillez pardonner mon émotion.
Tout ça pour vous signaler à tous, aimables lecteures et lectrices, nouveaux venus ou ancestraux, que L’ombre sur la Mesure sera sans doute tout aussi dilettante l’année à venir. Qu’elle va évoluer, qu’elle écrira un peu moins sur la musique, et seulement quand elle aura quelque chose à dire.
Je laisse donc enfin place à ma sélection musicale annuelle. Quarante albums de musique electrobruitistemélancoliquodarkside, trois albums hors sujet et deux ré-éditions. Oui, je sais, ça fait beaucoup. Surtout que je suis le premier à décrier les médias qui publient des Top 100 albums. En me demandant toujours ce que quelqu’un peut retenir de 100 disques en un an, de combien il faut en avoir écouté pour ne retenir que ces 100 là, et surtout quelle sera leur précoce obsolescence quand il faudra en retenir 100 l’année d’après. Je ne vais pas vous mentir en vous avouant que ma hiérachisation qualitative de ces disques ne repose que sur ma propre sensibilité, et que celle-ci est encore plus opaque dans sa seconde moitié, avec une proportion non négligeable de disques qui n’ont pas été chroniqués. Rappelons donc, puisqu’il le faut encore, que cette liste ne fait pas évangile, et qu’elle a pour seule vocation de provoquer la (re)découverte.
Bonne année 2018 à tous et toutes. Bien en vous. Ed Loxapac, aka Lexo7, aka Kaspar Hauser, survolant le review game sans concurrence notable depuis déjà dix ans.
40.
Horoscope – Misoginy Stone (Wharf Cat Records) (Experimental, Délire Modulaire) Chronique
Un album bancal, issu des bas-fonds de la grosse pomme. Foutrement sexy et doté d’un coté punk qui a le mérite d’expérimenter sans se prendre trop au sérieux. Horoscope, après avoir fricoté du côté d’Asctic House, demeure un artiste à suivre et à voir un jour en live.
39.
Hannu Karjalainen – A Handful Of Dust Is A Desert (Karaoke Kalk) (Ambient, Electronica, Folk)
Un de ces artistes que j’avais évoqué dans des chronqiues vieilles de presque dix ans, et dont je ne soupçonnais plus d’actualité. Passé par le bien trop méconnu label Kesh de Simon Scott (batteur de Slowdive), le scandinave Hannu a aujourd’hui évolué vers moins de soundcaping et de poncifs hivernaux, pour exceller dans un sillon sensible et mélodique tout à fait rafraîchissant. Les videos clips associés à l’album sont disponibles sur le bandcamp, et servent au mieux le propos.
38.
Ogive – Folds (Room40) (Ambient, Drone, Experimental)
Le britannique Chris Herbert et l’espagnol Elias Merino s’unissent pour former Ogive, et livrent une superbe douche de textures et d’harmonies. Troublant, de par le contrase qu’apportent la densité d’émotions ressenties et le minimalime des compositions. A ce jeu là, le label Room40 de Lawrence English se plante rarement.
37.
Death Qualia – Intention Versus (Portals Editions) (Techno, Indus, Bass, Noise) Chronique
Une galette de moins de trente minutes. Mais quelle brillante idée que de filer un scalpel à un boucher. Dans l’attente d’une suite, désespérément.
36.
Celestial Trax – Nothing is Real (Purple Tape Pedigree) (Electronic, Experimental)
Encore un truc trouvé en farfouillant les entrailles du seul tracker digne de la succession de Whatcd. Des fields recordings manipulés, des samples poussiéreux, des pistes oscillant entre beat et contemplation. Une véritable curiosité, vers laquelle je reviens de plus en plus souvent. Les diggers savent.
35.
Mike Cooper – Raft (Room40) (Ambient, Folk, Experimental, Balearic)
Les délires baléariques qui sentent le monoï et les embruns, c’est habituellement tout sauf mon truc. Je ne peux pourtant que succomber au jeu si particulier de ce pionnier de la guitare, aujourd’hui âgé de 85 ans, qui continue de s’éclater comme un gamin. Encore un album de plus qui prouve que l’expérimenation peut-être bien plus ludique qu’absconse. Chez Room40, encore.
34.
Tourist Gaze – To Grow Across Meetings (Audio. Visual. Atmosphere) (Synth, Electronica)
On peut ne pas être manchot avec des synthés et un mélodiste hors pair, tout en cédant à une certaine simplicité de composition. Un bien joli projet, jamais si bon que lorsqu’il sévit dans le clair-oscur, et très productif en plus de ça. Sorti sur un label belge qui recelle bien d’autres petits trésors.
33.
Teresa Winter – Untitled Death (The Death Of Rave) (Pop, Electronic, Experimental)
De gros médias validés par les masses se sont amusés cette année à promouvoir des artistes et des disques qui faisaient bouger les lignes de la pop en l’alliant à de véritables expérimentations électroniques. Celui-ci fut injustement oublié. On devrait dans un futur très proche entendre parler de cette Teresa Winter, qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai.
32.
Keru Not Ever – Tereza (Infinite Machine) (IDM, Bass, Electronica, Ambient, Electronic)
Aucune idée de qui se cache derrière ce mystérieux producteur de Montréal, qui publie son premier album sur un obscur label mexicain. Toujours est-il que cet opus est luxuriant en plus d’être foutrement bien construit. Un truc qui me donne envie de faire un moonwalk en chaussons vers le futur. Curiosité chaudement recommandée.
31.
Colin Vallon Trio – Danse (ECM) (Jazz, Modern Classical) Extrait
Lassé des sérénades souvent trop faciles de la scène classique moderne et de leurs micros de contact hasardeusement placés sur les marteaux d’un piano vaguement préparé, le légendaire label de jazz m’a avec ce disque réconcilié pleinement avec l’instrument. Le batteur et le contrebassiste sont eux aussi au sommet de leur art. Un disque de jazz où les musiciens ne font pas que se gargariser de leur savoir faire technique, et où seule la phrase à six mains est à aduler. Grand disque.
30.
Carlos Casas – Pyramid Of Skulls (Discrepant) (Field Recordings, Experimental, Ambient)
GHOSTS FROM THE FUTURE AND SPIRITS FROM THE PAST COLLIDE IN THIS SCI FI FIELD RECORDING EXPERIMENT. Un trip chamanique et métaphysique qui vous mène tout droit aux montagnes du Tadjikistan. Une expérience rare, et finalement assez accessible.
29.
Acronym – Malm (Field Records) (Ambient, Electronic)
C’est incroyable comme ce type est incapable de sortir quelque chose qui ne soit pas juste exceptionnel. Même quand il s’extrait quasi pleinement de la sphère techno racée dont il est un des incontestables ténors. Grosse claque émotionnelle.
28.
Tape Loop Orchestra – Instrumental Transcommunications (Tape Loop Orchestra) (Ambient, Experimental)
Que serait une rétrospective annuelle sans un disque de TLO, qui n’est rien d’autre que la formation ambient la plus excitante depuis Stars Of The Lid. Ouais, rien que ça. Pas d’extrait, que dalle, si t’es joueur t’achètes le disque à l’aveugle. A moins qu’il soit déjà sold out.
27.
William Ryan Fritch – Birkitshi – Eagle Hunters In A New World (Lost Tribe Sound) (Folk, Ambient, Classical, Experimental)
L’ultra prolifique ange blond derrière le projet Vieo Abiungo (et membre de Death Blues) est un multi-instrumentiste hors du commun. Armé de ses cordes habituelles et d’instruments mongols, il nous convie à un voyage aussi passionnant que féerique. Ce disque fut composé pour un documentaire de la chaîne Gopro, dont vous pouvez trouver des extraits sur le net. A côté de ça, l’américain est enfin parvenu à tempérer ses incusions vocales. Son Behind The Pale, également paru chez lost Tribe Sound, est tout aussi recommandable.
26.
Alocasia Garden – A Double Life (Holy Geometry) (Ambient, Experimental)
Ma découverte la plus curieuse de l’année. Comme tout ce que publie ce projet aussi varié que prolifique, je ne sais jamais trop si j’adore ou si je déteste. Une musique mystérieuse et épidermique, toujours aussi près de la branlette totale que de l’idée géniale.
25.
Isorinne – Speechless Malison (Northern Electronics) (Electronic, Synth, Ambient)
Le compère de Varg au sein de D.Å.R.F.D.H.S. livre en cette fin d’année une beauté troublante et immaculée. Encore un exemple de ces artistes venus de la scène club, converti aujourd’hui durablement aux sentiers de la sensation pour célébrer l’anti-dancefloor. Ce disque aurait été bien plus haut dans le classement si j’avais eu le temps de l’écouter encore un peu plus.
24.
Elodie – Vieux Silence (Ideologic Organ) (Ambient, Classical, Jazz)
Le duo de résidents belges truste cette année encore ma rétrospective annuelle. Pour la première fois, un album sort hors des labels dirigés par ses membres, et c’est un certain Stephan O’Malley qui en parle le mieux. Eux aussi, je les pense incapables de sortir un disque ne serait-ce que moyen.
23.
Jon Porras – Tokonoma (Geographic North) (Ambient, Synth, Experimental)
Débrancher les guitares n’a pas été chose aisée pour les membres de Barn Owl. Le compère d’Evan Caminiti s’en sort avec plus que les honneurs, dans un curieux mais passionnant exercice, qui l’éloigne encore un peu plus de sa zone de confort.
22.
Kara-Lis Coverdale – Grafts (Boomkat) (Drone, Ambient) Extrait
Même si je ne suis pas très fan de l’hégémonie indépendante de Boomkat en Europe, et encore moins de leurs frais de porcs, il faut reconnaître que cette sortie est indispensable au rayon ambient cette année. Une seule et unique pièce d’un peu plus de 20 minutes dans laquelle on ne se surprend plus à revenir fondre.
21.
Pinkcourtesyphone – Indelicate Slices (Room40) (Ambient, Minimalism, Experimental)
Je n’y peux rien, je suis littéralement accroc à ce projet intimiste de Richard Chartier. Encore plus quand il noircit ses habituels romantiques tableaux. Du grand art, chez Room40, encore.
20.
bedwetter – Volume 1: Flick Your Tongue Against Your Teeth And Describe The Present (Rap, Noise, Electronic) Chronique
Symbole d’une génération pour qui l’incertitude est le seul point de repère, il vomit à la face d’un globe en disgrace ses questionnements, sa dépression, ses addictions et tout ce trop plein dont il ne sait que faire. Pour que l’auditeur l’ingurgite en retour, n’en fasse rien lui aussi, du mieux qu’il peut. Mais aussi pour qu’il se sente un peu moins seul avec, que chaque gerbe d’or soit partagée telle une orgie de foutre, de résidus de drogues, de glaires alcoolisés et de peaux mortes. Pour tout remplir sur le tableau avec du noir, des larmes et du sang. Trouver ça joli, juste pour la beauté du geste. Et puis recommencer. Jusqu’à la mort par satiété. Trop souvent aggloméré à tous ces rapeurs blancs américains dépendants au xanax, Travis Miller est pourtant une des meilleures choses qui soit arrivé au rap depuis longtemps.
19.
Andrea Belfi – Ore (FLOAT) (Experimental, Krautrock, Drums, Elecronic) Chronique
Ore est un reptile, une hydre grouillante qui tient au départ l’auditeur à distance pour mieux l’amadouer et l’infecter progressivement. Construits comme des krautrocks aliénés, chaque titre révèle une pièce d’un dédale où le reptile à toujours un coup d’avance sur sa proie. Ore n’a au fond qu’un seul défaut, sa trop courte durée. Andrea Belfi réalise donc ici un des sommets de sa discographie, un album exceptionnel, qui sur le papier aurait pu s’annoncer comme rébarbatif et nébuleux. Il est tout le contraire de ça : passionnant et (presque) accessible à tous.
18.
Pharmakon – Contact (Sacred Bones) (Noise, Indus, Experimental) Chronique
Contact est donc à mon humble avis l’album le plus abouti de l’américaine. Un disque pour jouir sans entrave dans des cathédrales d’amiante jusqu’à en gondoler les cloisons. Une expérience à réserver à un public averti, qui sublime les vertus de l’oppression et accepte que le poison fasse parfois partie de la solution.
17.
Love Theme – Love Theme (Alter) (Jazz, Drone, Experimental) Chronique
Comme son intitulé l’indique, le groupe explore la thématique de l’amour. Tout comme l’avait suprêmement fait John Coltrane, le trio a compris que le saxophone était l’instrument de fusion parfait pour retranscrire toute la pluralité du sujet. Pour transmettre chaleur, sensualité, mais aussi son lot de lamentations. Love Theme dépeint ici la fournaise sentimentale sous les contours de l’affliction. Dans ce que l’amour a au fond de moins rassurant, dans ce qu’il fait perdre de soi et dans ce qu’il représente comme équilibre du désordre. Un regard sur l’amour prompt à créer des rêves que l’on ignore. Accueillons donc avec ferveur et respect de nouveaux adhérents au Club du Gore.
16.
Damien Dubrovnik – Great Many Arrows (Posh Isolation) (Noise, Indus, Ambient Experimental) Chronique
Le duo sait se ré-inventer à chaque disque, s’émanciper de ce qu’on pourrait attendre d’eux. Tout en maintenant une force dadaïste pour jumeler les divers éléments de ce qu’ils représentent à chaque fois malgré tout de leur programme commun. Le paganisme, le fétichisme, la physicalité, le surréalisme, la sexualité. Noise, indus, black-metal, expérimentations modulaires… tout ceci au service d’une musique hybride qui s’inscrit aussi bien sur disque qu’en live dans les contraintes du concept, mais surtout de la performance. Great Many Arrows est un grand disque. Fiévreux, inspiré, terrassant, comme toute créature sachant cumuler la colère à la beauté. Une volée de flèches pour maintenir ouvertes les orphelines plaies.
15.
Claudio PRC – Volumi Dinamici (Semantica) (Techno, Experimental) Chronique
Fidèle à une esthétique propre, PRC joue la concision et la cohérence sur ce 8 titres ultra racé, puissant et passionnant de bout en bout. Une fois de plus, le producteur brille par le soin apporté au jeu de textures, denses et mouvantes, aux développements mélodiques millimétrés, à la précision d’un arsenal percussif sans excès ni faille. Comme à l’accoutumée avec PRC, c’est de la mesure, infaillible, que naît l’inertie, de la profondeur qu’émane la puissance. Le sens du détail, la concision et la cohérence de l’album en font une pièce incontournable de sa discographie. Certains aiment parler de tunnel Techno mais il s’agirait plutôt dans ce cas d’une sphère plongée dans la nuit noire dans laquelle fusent, s’épanouissent et disparaissent des signaux sonores fulgurants, comètes et débris à l’origine d’ellipses incandescentes.
14.
Tomoko Sauvage – Musique Hydromantique (Shelter Press) (Field Recordings, Experimental)
Tout est dans le titre, et le rendu laisse sans voix ni mots. Des bols en porcelaine et des micros immergés dans la flotte, what else ? Voilà longtemps que je n’avais pas pris une telle claque en matière de field recordings. Indispensable.
13.
Dale Cooper Quartet & the Dictaphones – Astrild Astrild (Denovali) (Jazz, Ambient, Post-Rock) Chronique
Astrild Astrild m’invite, de nuit, à un cabaret sauvage sur une plage du Finistère. Les personnages me paraissent familiers, mais leurs visages sont empruntés à des rapaces et à des poissons de vases. On y boit au goulot des décoctions torréfiées, noires comme les nuits sans étoiles. Chaque tableau s’épanouit dans le contre-jour, pour perdre l’auditeur dans ses propres grilles de lecture. Est-ce la confidence de l’abîme que j’entends dans ces soupirs ? Quand viendra-t-elle, la lame de fond, par dessus ce présent immobile encerclé d’un mur d’angoisses, pour l’anéantir ? A la fin du disque, j’ai eu la sensation de faire naufrage en dessous de la tempête, dans une marée haute où j’ai perdu pied. De ne pas reconnaître le marais où je suis né. Un des plus beaux disques de cette année, pour relier tout ce que Lynch et Pessoa doivent à la nuit.
12.
Pact Infernal – Infernality (Horo) (Techno, Dark Ambient) Chronique
Infernality est un marathon dans un dédale pavé de braises et de sombres intentions. Cousu de souffles lents mais sûrs, de ceux qui font sortir le cerbère de ses gonds et plaquent les imprudents aux murs de leurs lamentations. On y danse lentement, les yeux rivés vers l’en dessous, seulement vêtus du sang des chipsters et des scalps de putafranges. Les centaures filent des coups de sabots aux séraphins sous les clins d’oeil lubriques des gorgones. Même l’air semble transpirer le règne du feu. Rien ne saurait interrompre cette transe orgiaque si ce n’est ce pernicieux et permanent appel à partir en chasse. Pour perpétuer la purge et la saignée. Salutations au prince des ténèbres, car par toi mon âme flétrie.
11.
Bing & Ruth – No Home Of The Mind (4AD) (Piano, Modern Classical, Ambient) Chronique Extrait
Tout le génie de ce disque est contenu dans sa capacité à stimuler les sens. C’est une invitation à l’errance imaginaire, où l’on regarde le défilé des saisons en paix, avec l’oeil de l’enfant qui pense qu’il ne mourra jamais. Et peu importe alors si un drone dilate soudainement la vision, si l’incertitude et des tensions inquiètes s’insèrent dans le tableau pour modifier la représentation du plat pays, le violoncelle y ronronnera comme les murmures d’une nature en pleine rêverie. Cette musique est belle parce qu’il me semble qu’elle renonce à l’artifice et assume la fragilité de ses équilibres. C’est un opaque phare d’espoir et de paix dans la noirceur, qui fera pleurer les statues enfouies dans les décombres du coeur.
10.
Belief Defect – Decadent Yet Depraved (Techno, Indus, Bass) Chronique
J’ai un respect sans bornes pour les artistes venus du club qui ont l’intelligence de ralentir le tempo. J’aime à répéter qu’en musique comme en balistique, les projectiles lents sont connus pour commettre plus de dégâts. Et là, Belief Defect font très très fort. Avec des talents de mix et de production très au dessus de la moyenne, un sens de la fracture rythmique bien vicieux allié à des outils de synthèse jamais avares en pulsions mélodiques.
9.
Valgeir Sigurðsson – Dissonance (Bedroom Community) (Modern Classical, Ambient) Chronique
Entre ombre et lumière, dans la guerre comme dans la paix, Dissonance se doit d’être écouté en haute rotation. Jusqu’à s’en étourdir et à s’y pendre. Parce qu’il arrive trop rarement que l’humain se fasse le pouvoir du temps.
8.
Drew McDowall – Unnatural Channel (DAIS) (Ambient, Indus, Modular) Chronique
Ce disque a pour don d’inscrire une forme de primitivisme de composition dans une parfaite modernité, et c’est déjà tout un art. Les deux titres d’ouverture pourraient même bien illustrer, dans une faille temporelle qui a aujourd’hui tout son sens, la genèse de la mort des musiques à guitares. Field recordings classieux, fréquences dignes de la porte des enfers, ambiances de la saint Barthélémy, frappes lentes de plombiers lettons, tout est là pour planter la funeste oraison. Sans faire beaucoup de bruit Drew McDowall est venu livrer sa pistache sonique là, assis sur le rebord du monde. Posey, en train d’exterminey. Allez jeune paddawan du rack, enfile ton pyjama et dis merci à papa.
7.
Ekin Fill – Ghosts Inside (The Helen Scarsdale Agency) (Ambient, Pop, Experimental) Chronique
Ghosts Inside devrait se révéler comme le compagnon idéal pour prôner le vide à qui a subi un trop plein. Pour se soustraire au tumulte et à l’avalanche des discours, à tout ce qui fait plus de mal que de bien quand tout s’effondre aux alentours. Une perle de douceur et de volupté dans un océan de bruit. Les fantômes intérieurs d’Ekin Fil sont autant d’armistices pour affronter les démons de ceux qui l’écouteront. Pour enfin leur donner la place qu’ils méritent, dans le silence et la paix.
6.
Varg – Nordic Flora Series Pt.3 Gore-Tex City (Northern Electronics) (Techno, Ambient, Electronic) Chronique
Varg s’est affranchi de tout. Certains diront qu’il s’est perdu. Varg se fout d’être playlisté par les chipsters de la Concrete. Il est seul sur sa planète, et nique tout, en gravant Hallå sur sa galette. Jamais aussi près du nectar que de la shitlist, Varg survole le game en business class. En jouant avec de petites ombrelles roses. Parti trop loin dans le futur, il y peu de chances que les puristes de la techno primitive l’y suive…
5.
Alessandro Cortini – AVANTI (The Point Of Departure Recording Company) (Synth, Electronica, Ambient) Chronique
Est-il possible de poser un regard apaisé sur un passé qui se décompose quand on conjugue son future au présent ? Une question qu’il n’est pas nécessaire de poser aux enfants. Parce que la vie est un chemin d’argile qu’on traverse le couteau entre les dents. AVANTI souffle un parfum de romantisme dans les ruelles mélodiques et vaporeuses de la nostalgie. Il confie les bords du Canada au portier du destin. Ravive les instruments du passé pour libérer la pop du futur.
4.
Gabriel Saloman – Movement Building Vol.3 (Shelter Press) (Drone, Ambient, Shoegaze) Chronique
Haletant et passionnant aussi bien dans ses moments de silence que dans ceux illustrant sa fureur, Movement Building Vol.3 danse admirablement les tourments d’une époque de fièvre. Il n’est rien d’autre que le plus bel ouvrage solo de Gabriel Saloman, et sa plus belle réalisation depuis l’inaltérable Going Places.
3.
Lawrence English – Cruel Optimism (Room 40) (Ambient, Drone, Experimental) Chronique
Plus qu’un disque, ce nouvel album de Lawrence English cumule les mandats d’oeuvre d’art et de brûlot politique. C’est un vol de nuit au dessus du monde, où se collapsent les espoirs déchus et ceux qu’il reste à gravir. La fin de leur monde de demain, même si demain c’est loin. Le sirocco sur des terres blèmes et endolories. Je ne sais pas vous, mais moi j’ai un avion à prendre. Le F-5 Lightning de Saint-Exupery. Chez Room40, toujours.
2.
JASSS – Weightless (iDEAL Recordings) (EBM, Indus, Ambient, Experimental) Chronique
Weightless est maculé d’une intelligence rare. Celle de poser sans vergogne son incapacité à faire un définitif choix d’identité, et de plutôt se placer comme l’album d’une culture riche et d’un parcours hybride. Sonner club sans réellement faire danser, faire cohabiter les sonorités qui ont bercé l’enfance à celle des aspirations actuelles, être cérébrale même dans la légèreté, résonner pop jusque dans la radicalité industrielle. Telle est, non pas le pari, mais la totale réussite de l’artiste espagnole.
1.
Ben Frost – The Centre Cannot Hold (Mute) (Indus, Noise, Experimental) Chronique
L’australien s’élève en architecte du chaos, dresse des colonnes de sons comme des édifices empiriques qu’il semble charger de sous munitions, pour les faire imploser juste après leur extraction. The Centre Cannot Hold est un combat à mort. Entre l’humain et ses propres machines. Kasparov contre Deep Blue, qui gagne en profitant d’une erreur du programme. Ne cherchez plus la mornifle de l’année, ni quelle apocalypse vous invite à la transe. Dans l’amour et la violence, dis moi ce que tu panses.
HORS-MES-MURS.
Slowdive – Slowdive (Dead Oceans) (Shoegaze, Rock, Pop)
Parce que les ré-unifications de formations rock après plus de 20 ans d’absence sont souvent des escroqueries opportunistes, motivées uniquement par l’équilibre des ventre vides. Et que là, le groupe de Reading revient avec un album incritiquable doté d’une énergie créative intacte. Grand disque.
The Necks – Unfold (Ideologic Organ) (Post-Rock, Improvisation, Jazz…) Extrait
Absolument rien à dire à propos de ce disque, si ce n’est qu’à l’image du projet dans sa globalité, le trio ne semble savoir sévir ailleurs que dans la constante excellence.
Oxbow – Thin Black Duke (Hydra Head) (Noise, Rock, Jazz, Experimental)
Parce que le quatuor de San Francisco n’avait pas connu ce niveau depuis un moment. Dans un délire complètement différent, mais juste excellent. Cet hommage à peine voilé à Sir Bowie est une mandale plus que recommandable.
RE-EDITIONS.
Giusto Pio – Motore Immobile (1979 – Cramps Records) (Soave) (Minimalism, Classical, Drone)
Parce que ce monument experimental et avant-gardiste vieux de presque 40 ans ne pouvait pas demeurer plus longtemps dans les limbes. Comme un symbole, son auteur est décédé au mois de février. Un must-have absolu et hors du temps.
Keiji Haino – Watashi Dake ? (1981 – Pinakotheca) (Black Editions) (Rock, Improvisation, Psychedelism, Noise)
Parce que le premier album du japonais est un véritable brûlot. Et qu’il ouvre les voies à un rock hors de toute norme.
Imagine, t’écris ton texte comme d’hab, mais là tu le lis en jouant -ou pas- la comédie. Tu nous fais un joli -ou pas- montage vidéo, dans un paysage de campagne-industrielle polonaise, avec en fond sonore le fameux drone que t’as fait avec ton cul.
En première vidéo tu pourrais faire : MA CRITIQUE DE CHANSONS DE GESTE PAR HECQ avec le numéro de l’épisode, pour bien qu’on sépare les vidéos où tu parles de musique, de celles où tu parles de skate.
Vas-y merde, fais des vlogs, t’aurais peut-être même des chances de toucher du cyber-flouze.
Je trouve Isorinne sublime et sensible. Il faudra un peu de temps pour écouter toute la liste. Si tu publie un roman en sous-marin sous ton nom n’oublie pas de balancer des petits cailloux afin de pouvoir te retrouver.
Finalement en lisant tes chroniques peut importe le disque l’essentiel étant la lecture. De toutes ces années a te lire je garderai 4 ou 5 disques et c’est déjà beaucoup.
Tchao Lexo
Merci pour cette liste qui change des « gros médias validés par les masses ». Maintenant j’ai mal à mon ratio.
Merci pour cette liste et ces années à défricher le paysage musical pour nous!
Bonne année à toi, garde la pêche!
J’attendais de mains mortes ton top 10 crypto avec Cardano au sommet.
Le 40 album fait le taff en attendant *wink*wink*