J’avais déjà évoqué les aspects roublards, salaces et racialistes de Moodymann il y a deux ans, à l’époque de Picture This. On y reviendra pas, si ce n’est pour constater que KDJ n’a pas changé. En bon souverain house couronné mais fainéant, il continue de se faire agiter le poireau pendant ses sets, perpétue son inaltérable sens du sexisme bas du front, représente toujours aussi bien un hédonisme « Detroiter » forcément condamné à disparaître. Mais il se fout de notre gueule, nous aimons ça, et jusqu’ici nous lui pardonnons tout. Après des barquettes entières de maxis plus ou moins remarquables, produits en son nom (ou pas) sur ses nombreux labels, un nouvel album déboule dans l’exaltation la plus totale presque dix ans après l’exceptionnel Black Mahogani. L’artwork est sans équivoque… passons au contenu.
Pour bien comprendre Moodymann, il faut parvenir à envisager qu’il réunit dans un même corps l’acteur Mandingo dans toute sa longueur, et le pasteur Marcus Garvey dans toute sa ferveur. Lubrique, mais militant, même si on parvient parfois aisément à comprendre selon son humeur quel aspect prend le dessus sur l’autre. Ce nouvel album ne fait pas mystère de son penchant préféré. Il a assis « modernité » et « actualité » à l’arrière d’une Delorean, leur a baissé la culotte pour surtout très mal leur parler. Le mec n’invente plus, n’écoute sans doute rien de ce qui se fait aujourd’hui ailleurs. Mais il veut rester le père d’un style qui lui appartient, hérité de la soul, de la funk, des jams jazz, du rock noir, des rues et des lapdancing du Detroit qu’il aime tant.
Au petit matin les bouteilles de rhum et de cognac descendent plus vite que le braquemard. Ce cher Kenny a la tête dans le cul de sa voisine (wesh Fufu) et se dit qu’il faut qu’il sorte enfin un nouvel album. Il aime son public de puristes, insatiable de cire noire bien creusée. Mais il a également l’envie de céder à certains délires, dont celui de poser pas moins de 27 titres sur une version cd/digitale qui contient des ersatzs d’interludes soul ou radiophoniques pas désagréables mais qui n’apportent pas grand chose, les « va et viens » d’un Freaki Muthafucka toujours aussi savoureux même si plus de première fraîcheur, et surtout une… surprenante (?) relecture autotunée du Born to Die de Lana Del Rey où il se tripote bêtement et attend deux minutes et dix secondes pour montrer qu’il n’est pas un vulgaire « pousse disque ». Vous l’aurez compris, la version cd/digitale est complètement délirante (y compris dans le tracklisting), il est donc normal qu’elle perde en cohérence en comparaison de la version LP.
Passons donc à ce que Moodymann fait de mieux, même si Hold It Down commence lui aussi à prendre de l’âge, que l’exceptionnel Desire doit au moins autant à son poulain Andrés et à Jose James, et que si, encore avec le premier, Lyk U Used To surfe dangeuresement avec un kitsch et un goût discutable pendant presque six minutes, il a le mérite de remettre à leur place Pharell et ses copains masqués. Soulignons surtout l’excellent Come 2 Me et son refrain salace juste comme il faut, ses basslines maternelles et les indomptables croupes cuivrées auxquelles il renvoie. Tout comme les très bons Ulooklykicecreaminthesummertyme et Restart (feat la référence nu soul Bilal, étrangement absent de la version cd). Il y a à chaque fois dans chacun de ces titres un petit quelque chose, qui donne envie de suivre des stages de mapouka à durée indéterminée dans un foyer de Montreuil. Mais ce n’est sans doute rien à côté d’un Sloppy Cosmic de toute beauté, where I hear my momma call mais dont j’aimerais ne jamais revenir, le crâne rasé au vent, caressé par les mamelles d’Ebony dans le pare soleil. Je roule sur des autoroutes infinies avec cet étrange sourire de côté coincé au bec, je vois Detroit renaître de ses friches avec Otis et Curtis en passagers. Kenny is stil a Detroiter and he killed me again. Plus rien n’a d’importance, je disperse ma semence dans tous les sens.
Génie fainéant mais génie malgré tout, Moodymann effectue, avec ce qui n’est surtout pas son meilleur album, un retour qu’on attendait plus. Ne serait-ce que pour ça, soyons comme d’habitude, tout sauf objectifs et intelligents, remplissons nos poumons d’allégresse. Notre corps et notre âme nous diront merci.