Mondkopf. Paul Régimbeau. Tu te souviens ? C’est ce jeune toulousain exilé à Paris dont on vante le vaste potentiel depuis un peu moins de dix ans. Cette tête d’ange (et de lune) au parcours atypique, qui après un passge furtif du côté de chez Citizen Records avait lâché un Galaxy Of Nowhere qui avait laissé toute la presse plus ou moins spécialisée sur le cul en 2009. Des choix de synthés particulièrement réjouissants, des kicks secs et violents associés à une musicalité résolument fraîche, un pied dans l’electronica et l’autre sur le dancefloor, Mondkopf révélait alors un background impressionnant pour son jeune âge. Ses élans d’enfance pas tout à fait consumée auraient pu augurer d’un « partage en couilles » à la Rone, mais non, en 2011 il sort Rising Doom, un disque fluo/goth/batcave forcément inégal mais qui trahissait encore une fois de très belles promesses. Il a depuis créé In Paradisum avec Guillaume Heuguet, label qui a accueilli dans ses rangs Somaticae (pour ne citer que lui), et qui organise régulièrement des soirées remarquables à la Gaîté Lyrique. On l’a vu partager la même scène que Kangding Ray, se rapprocher de gens comme Saåad ou Insiden, mais la plupart de ses suiveurs n’attendent qu’une chose : un nouvel album à la hauteur du sillon creusé par un label qui a le courage et le bon goût de se nommer In Paradisum. En fin d’année dernière, un mystérieux extrait, Hadès III (dernier titre de l’album, paré d’une trompette un peu trop gratuitement apocalyptique) était lâché à l’attention d’une plèbe et d’une presse pas du tout prête pour ça. Quand les adeptes de la philosophie « Let’s Dance » et d’un hédonisme trop propre s’inquiètent, j’ai tendance à lever le museau et à attendre l’album en question de pied ferme.
Première seconde et première frappe, la fréquence qui va bien, abrasive mais très travaillée. La suite est du même acabit, suinte les environnements saturés sans céder à la surcharge. Toujours entre l’église et le cimetière, la musique de Mondkopf s’épanouit dans les interstices. Sans lumière et à la seule lueur du sang qui bout et des poussières qui brûlent. Les aspects riffeurs et industriels qu’on avait déjà plus qu’aperçus sur Rising Doom trouvent ici une toute nouvelle saveur, agrémentés de chaux vive et drapés dans un linceul ambient plutôt bien tissé.
Comme dans l’apocalypse selon Saint-Jean, les trompettes sont annonciatrices de la grêle et d’un embrasement plus généralisé. Vient alors cette rigueur dans l’irrégularité des frappes qu’on lui connait bien, avec les autrement plus beatés Cause & Cure et Immolate, tout à fait aptes à faire danser les âmes en transit férues de dancefloors sévèrement plombés. Ces deux titres seraient sans doutes encore meilleurs si on ne devinait pas aussi aisément ce qu’ils doivent à la période la plus psychotique de Clark (avant sa rencontre fleurie avec Bibio). Un détail me direz vous peut-être avec raison ? Mais celui-ci, bien que tout à fait pardonnable, va prendre corps et importance en aval.
J’aime comme Mondkopf fait intervenir cette fois-ci avec parcimonie les kicks pachydermiques qu’il cisèle si bien. Tout comme ce choix de synthé toujours particulièrement inspiré (The Stars Are Falling, Here Come The Whispers, et We Watched The End, où l’angelus semble en quête de résilience). J’aime aussi sa manière de renvoyer dos à dos les auditeurs emprisonnés dans les chapelles et les castes des étiquettes, de ne pas céder pleinement à cette « technoise » aux parfums très industriels si actuelle, et si intéressante, mais qui n’est au fond qu’une mode de plus forcément amenée à disparaître. Son travail sur la fréquence, sur les signaux et plus généralement sur l’ambiance est certes à saluer des deux mains. Mais outre ses incontestables qualités et un savoir faire certain, Hadès pose aussi son lot de questions, qui peuvent amener à un constat un peu plus nuancé.
Peut-on apprécier cet album à sa juste valeur lorsqu’on s’est pris dans la gueule le Kilo de Mika Vainio et les fréquences friables que distillent Thomas Köner depuis des années ? La mention de Clark pour les influences rythmiques fracturées n’est-elle pas trop régulière pour n’être qu’un pur hasard ? Mondkopf ne voue-t-il pas un culte démesuré (mais tout à fait compréhensible) à Roly Porter (plus particulièrement à Aftertime, puisque Hadès était déjà fini quand Life Cycle Of a Massive Star est sorti) ? Pour être tout à fait clair et honnête, Mondkopf ne souffre-t-il pas trop de son bon goût et de ses influences actuelles pour proposer une empreinte autrement plus personnelle ?
Un lot de questions qui n’attendent pas forcément de réponses, encore mois gravées dans le marbre. Le questionnement est une vertu, et ne se situe qu’à l’ombre de la sacrosainte intellectualisation si chère à notre bien aimée blogowebzinosphère. Ses dernières n’enlèvent rien au talent et au courage de son auteur, qui s’il l’avait voulu, aurait pu sombrer dans les arcanes de l’attendu. Un vif salut, nuancé, mais un salut quand même, à destination d’un album qui ravira les sombres et aventureux clients de belles fractures et distorsions. In Paradisum we trust…