A l’orée du dernier trimestre de 2016, il est admissible de convenir que le cru aura été relativement pauvre en albums ambient de qualité supérieure. Tant et tellement que, comme un symbole, la bible Pitchfork en est rendu aujourd’hui à dresser le récent, plus que fade mais fédérateur For Those Of You Who Have Never (And Also Those Who Have) de Huerco S. à un rang similaire aux plus belles oeuvres de Stars of The Lid et de Tim Hecker dans leur classement des 50 meilleurs albums ambient de tous les temps. Conséquence classique lorsqu’un genre impopulaire se démocratise, la qualité des sorties s’en ressent presque immédiatement. En période de vache maigre, le plaisir est forcément décuplé lorsque l’excellence, la finesse et la volupté émanent d’un illustre inconnu, jusqu’alors uniquement crédité dans les mentions techniques d’un enregistrement live de Daniel Menche à Seattle. Mura, réalisé par Monadh (Jake Muir) est sorti il y a quelques semaines sur le souvent pertinent Furher Records.
J’aime l’ambient parce qu’il me soustrait à l’agitation du monde moderne, suspend le temps dans ce qui ne semble être qu’un fragment de mouvement, me transporte en des lieux que je ne peux que me créer de toutes pièces. Ce genre est l’instrument de mes errances et de mes flottements. Il est donc légitime que vis à vis de lui, je devienne de plus en plus exigeant.
Construire un album autour de l’eau, de la mer ou des profondeurs est un cas d’école. L’américain ne révolutionne donc pas les concepts. Néanmoins, ses field recordings (saisis au bord du Pacifique) et ses textures sont particulièrement bien choisis.
Rien ne bouleverse jamais cette sensation de bain amniotique régénérant, cette traînée de sel qu’il laisse jusque sur la peau. Muara est une étreinte douce et chaleureuse entre deux bras, l’un de mer et l’autre de terre. Elle transpose l’auditeur dans une zone de confort et de sécurité où l’on oublie les douleurs du corps et les affres de l’âme en peine. Tout n’est alors plus qu’effervescence dans des profondeurs où l’on rêve d’apnée éternelle.
Je dirais bien volontiers que les premiers et derniers titres (Amnophila et Convection) valent à eux seuls l’acquisition du disque. Mais puisqu’il faut désormais tout nuancer, j’énoncerais aussi deux maigres reproches. Dans les influences probables de Biosphere et de William Basinski (particulièrement en fin de disque pour le dernier) mais surtout dans le parfois dangereux flirt avec des sonorités purement new-age (Calanque et Boira).
Muara n’en est pas moins un excellent album, très au-dessus des productions actuelles. En des heures où la sombritude du monde se suffit à elle-même, il est particulièrement bienvenu de succomber à une pure douceur qui, ne fut-ce que pour un court instant, reléguera les tempêtes et la violence à une place plus lointaine. Jusqu’à ce que par besoin, il faille qu’on y revienne.