Mohammad est un jeune projet, articulé autour de trois musiciens grecs : Coti K. (contrebassiste), Nikos Veliotis (violoncelle) et Ilios (oscillateurs). Leur principal fait d’arme est (outre la sortie confidentielle d’un premier album en 2010) d’avoir publié un splendide coffret de trois LPs (Spiriti) chez Antifrost, label grec basé à Barcelone. La simple écoute (même de fragments) du dit coffret pose une désarmante question, surtout quand on le découvre aujourd’hui. Comment se fait-il que cette monumentale tuerie ne soit pas complètement sold out ? Si la bonne musique se vendait ça se saurait, mais quand même. Bref, Mohammad vient de sortir un nouvel album chez PAN, maison berlinoise tenue par le (probablement) grec Bill Kouligas, à qui on devait déjà l’année dernière le très intéressant Impossible Symmetry de Helm.
En à peine plus de trente minutes, la formation grecque vient de foutre un coup de semonce (limitée en exemplaires) dans le buisson ardent que constitue l’univers du drone bien âcre. L’audiophilie est souvent une dérive un peu droitière (les lecteurs de Libé sont donc acceptés), voire élitiste, pour ce qui est d’envisager la musique et son écoute. Mais même les plus patentés d’entre eux ne pourront que constater qu’ici, l’enregistrement (mix et master également) cryptique et lo-fi n’est rarement apparu aussi cohérent. Sans la moindre hystérie, en toute élégance. Les caves compteraient donc bien leur lot d’esthètes, aptes à respecter l’objet et les oreilles même quand ça crachote.
On achève bien les chevaux. Ceux qui ont assisté au périple d’une monture piémontaise dans le dernier chef d’oeuvre de Bela Tarr feront probablement les liens qu’il faut. Surtout en contemplant l’artwork et le splendide clip de Sakrifis. De tous temps, qu’il soit de course ou de guerre, le cheval accompagne sans mot dire l’homme dans ses conquêtes ou ses démonstrations. Il franchit les obstacles, saute les haies comme autant de charniers. Il fait la guerre avec ferveur, même sans l’aimer. Conduit la charrette qui le mènera à l’abattoir : un paddock dénué de verts pâturages dont on ne s’échappe pas.
La musique de Mohammad entretient de drôles de liens avec la noirceur. Elle est abrupte certes, mais défintivement belle, lascive et romantique, même parsemée d’effluves pestiférées et de petite vérole. Ou encore malgré les visions potentielles apocalyptiques qu’ont bien connu les cités pécheresses renversées, telles Admah ou Zéboïm (juste pour ne pas citer les deux autres). Dans le sang, les hommes naissent et meurent. Les trois compagnons de Mohammad tiennent l’artère vitale dans leur main, en palpent le pouls et jouent de ses sursauts quand ils utilisent leurs nobles instruments en coups de boutoir.
La recette de composition est simple, inchangée par rapport aux oeuvres précédentes, et bien que limitée, elle apparaît comme évidente. Le violoncelle en est l’involontaire élément central, renforcé par une contrebasse plombante, elle même aidée par les ondulations pragmatiques des oscillateurs. Avec pour tout le monde un archet, s’il vous plaît. Tout s’imbrique parfaitement dans le linceul. Seuls les choeurs (pas si médiévaux que ça) en fin de Sakrifis évoquent un peu l’humain. Du magma de Lapli surgissent des interférences plus « électroniques » qui confèrent au supplicié des allures de martyr. Rarement couronne d’épines ne s’est montrée si pénétrante.
Puis vient Liberig Min et ses derniers soubresauts avant le trépas. Un rapace nocturne surveille sa proie. Vante la pitié, et donc la terreur. L’espoir est bien incompatible avec la vraie douleur (wesh Lautréamont). Bénie soit la chair qui ne veut pas pourrir. Ce titre est la plus belle chose (pas la plus rassurante) à écouter avant de mourir (en 2013).
Som Sakrifis donne autant l’envie de vivre que de mourir. Sacrifier des fans d’Indochine sur l’autel du drone et puis sourire. Etreindre en même temps Ovidie et Roxane Mesquida face aux dépouilles de FEMEN encore chaudes. Enfin jouir. (Re)lire les Les Chants de Maldoror et le Roman de l’Intranquilité. Voir un jour le groupe en live, et puis pourrir.
Le label n’ayant pas d’appareil personnel de vente et de distribution, le LP (vinyl uniquement) est disponible en pré-commande via le lien dans le bandeau à droite. Parce que même si chacun à son Dieu dans les sphères expérimentales, reconnaissons Mohammad comme un très beau prophète. Il n’y en aura pas pour tout le monde.