Chercheur et informaticien de métier, formé à l’IRCAM, le français Matthias Puech s’est fait un nom dans le petit monde de l’Eurorack et de la conception de modules. Si il a sorti au printemps une cassette (Purlieu) sur le label parisien Panatype, nous allons aujourd’hui nous pencher sur son album Alpestres, paru il y a peu chez la maison franc-comtoise Hands In The Dark, qui d’années en années s’élève comme la référence indé française aux côtéz de Shelter Press pour ce qui est de l’expérimentation qualitative. Le moins que l’on puisse dire est que son discours vis à vis de la synthèse modulaire (et du traitement des signaux sonores en général) dénote énormément avec le didactisme vaseux, exalté et peu maîtrisé dont ont peut avoir l’habitude.
Si Matthias Puech est un marcheur régulier qui a arpenté les sentiers des Alpes à maintes reprises, il y a aussi pratiqué un exercice autrement moins simple qu’il n’y paraît : le field recording. Ce que Chris Watson comparait lui même à une « chasse », requiert un matériel adapté et de solides connaissances techniques, environnementales et technologiques. Lors de ses escapades, le musicien parisien ne se sépare donc jamais de son Zoom, pour saisir à la volée le moindre détail de ce que le terrain pourrait avoir à lui offrir.
Egalement curieux et passionné des rituels et mythes païens célébrés par les populations montagnardes, il ne semble pas envisager la nature sans considérer ceux qu’elle fait vivre, en retrait des tumultes qui nous habitent. On comprend donc mieux pourquoi les titres des pistes sont en allemand, en italien et en français, les trois langues parlées et qui forment certains dialectes dans les hauteurs suisses les plus reculées.
Le parti pris du musicien, conscientisé ou pas, est à mon avis de brouiller les pistes. Effacer les traces matérielles qui mènent à ces lieux et ces gens qu’il connait, et dont il ne veut livrer qu’une représentation personnelle et fantasmagorique. Sans doute un peu pour les protéger, et aussi peut-être pour perpétuer ces pulsions de l’enfance résiduelle qui nous traversent tous et demeurent plus ou moins ancrées : s’inventer un langage et inscrire les légendes de notre imaginaire dans la réalité.
En regardant un peu plus loin, on pourrait étendre la synthèse modulaire à ce substrat enfantin. Se construire son propre jouet, tripatouiller ses fils. Animer l’inanimé, pour faire naître un nouveau monde de ses propres mains.
J’aime donc comment Matthias Puech entretient la confusion dans son mix, entre ce qui relève du pur field recording et ce qui a jailli uniquement de la synthèse. J’aime son art d’inoculer le doute de façon permanente. Sur où commence le ciel et où finit la terre, comment l’écume de la nuit tisse le lit du jour, sur comment il altère toute notion de temps à l’abri de tout compte à rebours. J’y ai pour ma part aperçu une galerie d’images et de personnages oubliés, où les cristaux carillonnent par dessus les alpages pour célébrer le vent comme annonciateur de présages, des sources magiques enfouies qu’on préfère taire et des tunnels initiatiques qui mènent aux secrets de la création.
Si l’ensemble du disque sonne de manière dantesque, j’avoue avoir une préférence pour le littéralement vivifiant Talausblick vom holichtpass et pour l’ambiance haletante et caverneuse de Krampus.
On souligne trop peu souvent comme une prise de son et un travail rigoureux de mixage sont essentiels pour souligner les contrastes et les dynamiques au mastering. Le moins qu’on puisse dire est qu’on est ici dans l’orfèvrerie pure, et que lorsque Matthias Puech a demandé à un certain Lawrence English de faire sonner ça comme je cite, « un voyage mythique et magique à travers les Alpes et au plus profond de la psyché des peuples qui y vivent, pour qui les menaces de la haute montagne, la fragilité de la vie humaine et animale, la beauté et la rareté de la nature font partie d’un même ensemble », il n’a pas eu de difficultés à s’exécuter.
Même en pesant mes mots et ma passion, Alpestres est un album littéralement sidérant. Un monde englouti où se ravivent les miettes de l’enfance. Une véritable randonnée céleste, source de jouvence.