Visions hallucinées et élytres fantasmatiques. Château enchanteur où les joyeux protagonistes longent les précipices. L’âcre carburant des mouvements de ton sang. Tu t’enfonces. Te désarticules. Cherchant l’oubli de toi-même. Te voilà au pays des merveilles, dans un royaume utopique et maléfique où viennent s’échouer ceux dont la peau ne fait plus que racler les angles morts.
Hibernate continue ses Collaboration Series avec Dag Rosenqvist et Matthew Collings, pour un EP judicieusement nommé Wonderland. Matthew Collings avait déjà livré l’année dernière un format court avec Talvihorros sur Hibernate, A Thousand Plateaus, et il est par ailleurs bien connu pour ses travaux passés en tant que Sketches For Albinos, avec des albums tels que Days Of Being Wild. Quant à Dag Rosenqvist, c’est également un habitué des pseudonymes. Jasper TX, principalement, dont le dernier et ultime album, The Black Sun Transmissions, a été l’un des plus terrassant en matière de drone l’année passée. Et plus récemment, c’est en compagnie d’Aaron Martin au violoncelle, pour quelque chose de plus néo-classique qu’il a donné naissance à l’un des plus poignants albums de cette année, From The Mouth Of The Sun.
Wonderland serait ce conte où tout débuterait dans les arpèges accueillants d’une guitare docile. Tonalités rassurantes. Mais dessous déjà gravite et gronde la sorcellerie d’un drone. On s’en doutait bien, tout ceci n’est qu’une invitation gracile à prendre part à la perdition. On t’apprend rapidement à creuser des abîmes, à te délecter de l’odeur de l’extinction. Deuxième piste, la mise en garde se vérifie. Les cordes déjà sont lointaines, angoissées, tremblantes, quand viennent s’effondrer les gravats des drone lourds de tensions électriques, de nerfs froissés et de veines palpitant contre un battement rageur et méthodique. Toute la violence de Wonderland se déploie ici, sur Precipice.
Reprise de réel sur Wonderland Part Two, au son des field recordings. Des grillons, le passage d’un train peut-être, quelques bruissements et grincements, un piano. On respire mieux, certes, mais on sent bien que l’air est légèrement vicié, que les insectes ne sont peut-être pas si naturels que ça et que le piano chancelle. Bird Tapes finit de déstabiliser, étrange et d’une autre époque, venteux et aquatique, fourmillant d’ajouts sonores. L’épilogue se fait sur Music For Dying Amps, joyau contrasté dont le cœur noir est bâti sur un pylône de drones et contre lequel viennent se consumer cris d’oiseaux, piano, ou clavecin.
L’ambivalence est reine dans les pages en papier glacé des histoires à mourir debout. Pays fantastique et fantasque baigné de désirs mortifères, Wonderland est à ranger soigneusement parmi ces albums qui conduisent toujours un peu plus loin l’imaginaire. Et à ressortir régulièrement en cas de trop-plein de réel.