Voilà bientôt maintenant près de dix ans que le nantais Mathias Delplanque décline ses expérimentations presque partout où on le lui permet. Visiblement curieux et ouvert vis à vis du monde qui l’entoure, il se produit très régulièrement en concert, et semble se placer à distance de tout ce sérail expérimental académique prompt à négliger tout ce qui n’est pas gratuitement abscons et ce qui ne sort pas du GRM ou de l’IRCAM. Aujourd’hui plus exposé qu’à ses débuts même si tout est relatif, il a bénéficié de la crédibilité de labels bien installés comme Crónica ou Baskaru et de diffusions régulières sur France Musique. SWQW avait d’ailleurs chroniqué ses Chutes (ici), jusqu’à les hisser au rang des meilleures sorties de cette année là. Drachen est sorti il y a quelques semaines chez Ici d’ailleurs, sur ses Mind Travel Series qui peinent pour le moment à jouir d’une aura comparable aux sorties « rock » de la maison mère (Matt Eliott, Mendelson, YannTiersen ou Zëro).
Drachen est une hydre à huit têtes, agrémentée d’une piste finale cousue d’enregistrements traités et paisibles, captés dans une région qui ne l’est plus depuis longtemps (le Burkina Faso, où est né l’artiste). Si les talents de manipulateur sonore de Delplanque ne sont plus à prouver, soulignons comme il le mérite le soin qu’il a apporté à la qualité intrinsèque du son, et ce malgré des aspérités plus ou moins volontaires et une profonde suspicion sur le caractère semi-improvisé de certains titres. Ces suspicions sont peut-être aussi à remettre dans un contexte de contrainte, ou d’urgence de composition. Bref, passons.
Mathias Delplanque a ici tissé des toiles pleines de contraste, maîtrisant les écarts de fréquences aussi bien que l’intégration de nombreux instruments ( y a même de la kora), qui trouvent tous une place jamais hasardeuse dans le sillon. Encore mieux que tout ça, le français parvient à créer des harmonies assez impressionnantes même quand il fait usage de parasites. Pour ne citer que celle-là, la troisième partie, particulièrement obsédante, en est un parfait exemple, y compris dans sa manière de rappeler les premiers travaux de Labradford. Même en l’absence vocale de Mark Nelson, la sensation produite est à s’y méprendre.
Ce qui frappe et séduit également, c’est comme le nantais réussit aisément à installer ses expérimentations personnelles en expériences physiques et sensorielles chez l’auditeur. Là où le travail de synthèse aparaît régulièrement si froid, chez Delplanque tout résonne charnel, organique, et surtout jamais gratuit. Ainsi, l’exotisme relatif mais délicieux de la partie 5 précède sans encombres une sixième quasiment affiliable à un dark ambient teinté de musique concrète. Juste remarquable.
Et il y a aussi ces petits trucs, des détails qui continuent de m’évoquer Mathias Delplanque comme un « zébulon » capable de vriller. L’utilisation du melodica par exemple, sans doute héritée de sa passion manifeste pour le dub, cette même passion qui allège sensiblement à mon avis le vif intérêt du projet Keda, en compagnie de la joueuse coréenne de geomungo Lee Jeoung-Ju (ce duo est quand même à voir absolument en concert, tant le jeu sur l’instrument et ce qui en ressort est impressionnant). Je pourrais aussi citer la partie 4, qui aurait peut-être mérité mieux qu’un format aussi court, mais ma réserve la plus importante vient de la septième partie, loin d’être dénuée d’intérêt mais dont le socle simili ambient/IDM apocalyptique n’apporte pas grand chose à l’ensemble, en plus de poser question sur la cohérence.
De faibles critiques par rapport à tout l’intérêt que mérite ce disque. Album qui prouve une nouvelle fois toute la passion et l’ouverture proposée remarquablement par un artiste tout aussi passionnant. Drachen est le genre de disques que personne ne surveille dans une presse trop occupée à rédiger dès novembre ses classements de fin d’année. C’est en tous cas et de très loin la sortie la plus aboutie des Mind Travel Series. Autre bonne nouvelle, l’artiste présentera presque partout en France cet album dans une déclinaison live, où il se verra accompagné de l’excellent guitariste Arnaud Fournier, que certains d’entre vous connaissent peut-être mieux comme gazier de Hint. Excusez du peu, c’est donc à découvrir absolument.