Main, duo légendaire articulé autour de Robert Hamspon et Scott Dawson, est un véritable mythe. Avant tout parce que le projet est intervenu en pionnier pour ce qui est de modifier le langage des guitares. D’ailleurs lassé d’être étiqueté uniquement en tant que guitariste, Robert Hampson laissera en friche pendant plusieurs années ce projet. Dawson a quant à lui largué les amarres en 1996, laissant ainsi toute latitude à Hampson pour diriger ses expérimentales envies. Bien connu de labels tels que Touch, Mort aux Vaches, Beggars Banquet ou Editions Mego, Robert Hampson est un proche du GRM et réalise aussi certaines créations sous son nom véritable. Ceux qui l’ont vu sur le Rhin lors du dernier Ososphère à Strasbourg, ou à Présences Electroniques il y a deux jours, ne sont pas prêts de l’oublier. Presque vingt ans après Motion Pool, sept ans après la dernière création (Surcease), le très en vue et génial Stephan Mathieu rejoint Robert Hampson pour réaliser Ablation. Avec le studio et le matériel du GRM pour sublimer leurs nobles ambitions.
Bien loin du diktat émotionnel qui envahit certaines compositions modernes, Ablation concentre avant tout son venin dans le terreau de la sensation. L’idéal est de ne pas chercher l’image, de ne pas céder aux aisés mécanismes de représentation. Laisser verser dans les conduits auditifs cet impressionnant arsenal pyscho-actif. Se jouant des températures et des réflexes propres à chaque conscience, Ablation, terre de contrastes et de patience, parvient à canaliser l’effusion pour mieux garrotter le silence.
Bien malin et savant est celui qui devine le matériel ici utilisé. Le duo n’a plus rien à prouver et se situe bien loin des postures. Rares sont les musiciens de ce niveau à ne pas se gargariser de leur savoir. Si rien n’intervient au hasard, le dit matériel n’apparaît jamais pour être reconnu. Il n’est qu’un moyen d’accès. Sans forcément pour vouloir en puiser l’insoupçonnable, les deux musiciens sont tout simplement en recherche permanente. Assez éloigné de certains de ses travaux sur les vieilles bandes, Mathieu s’arme de l’impressionnante et réputée indomptable Farfisa VIP 233 et d’une Phonoharp tentaculaire. Il se révèle même percussioniste, plus particulièrement sur la sculpturale première pièce. Hampson utilise surtout un matériel analogique, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre son éternel travail autour du traitement des signaux.
Terres brûlées. Glaciales et arides. Suées sur la gorge des intrépides.
Le son a les ongles sales, le regard froid et l’haleine chargée d’époisse. Aussi élégant qu’intransigeant, il dérange et malmène ceux qui l’approchent d’un peu trop près. Les fréquences sont extrêmement poussées, rêches et magnétiques. Un frelon dans le cul, elles brûlent garrigues et cigales comme autant de princesses syriennes sous le régne d’Héliogabale (II). Les moteurs des machines surchauffent gentiment, tant et tellement que leurs souffles embrasent les tympans. Il n’est plus question de larsens, de drones ou de je ne sais quelle appellation. Place au pur et dur travail sur l’onde et ses démons. Même les vagues ambient, voluptueuses et téméraires, ne parviendront à inonder les desseins des incendiaires.
Les insectes survivront jusqu’à la pièce suivante. Ce qui renforce le sentiment d’Exode. Ou rien ne se délite mais où tout se pétrifie. La gangrène, l’ulcère, la grêle après la mort des troupeaux. Les ténèbres, la mort des premiers nés. L’Egypte soudain drapée dans les oripeaux.
Dieu aime les purges et les saignées. Entre deux signaux de détresse les rivières pourpres sont en ébulition. Les sceptiques et mécréants devront subir l’ablation d’une partie d’eux même pour prétendre à la plénitude. La révélation plutôt que la condamnation. Ne vous y méprenez pas, ceci n’est pas une campagne pour la circoncision.
Ablation n’est rien d’autre qu’une des oeuvres expérimentales indispensables cette année. Elle revêt des sensations étranges au casque même si l’écoute sur installation est à mon avis préconisée. Les inconditionnels de Main et même les fans de la première heure ne seront pas déçus. Des exemplaires sont disponibles au Souffle Continu.