Le parcours de l’américain James Whipple est particulièrement atypique. Qui se souvient (ou qui fut au courant) de ses premiers amours IDM de 2004 ou de son obscur split avec le légendaire Wisp ? Presque dix ans plus tard et sans la moindre production au compteur, il devient M.E.S.H., un avatar tout aussi crispant dans son nom de baptème que pour ses aspirations Grime et UK Bass. Le label PAN de Bill Kouligas est parvenu en guère plus de trois ou quatre ans à s’élever comme une maison cristallisant toutes les attentes, dénicheuse de talents bruts parfois presque inconnus. Mohammad, Lee Gamble, Valerio Tricoli, Objekt ou Rashad Becker, voici déroulées d’incontestables pointures qui n’ont pourtant comme unique point commun que d’être réunies sous l’étendard de ce label qui rend instantantanément populaire et excitant tout ce qu’il approche. Tout ça pour dire que malgré son grand talent et sa totale maîtrise des softwares modernes, sans PAN, M.E.S.H serait encore peut-être cet adolescent boutonneux en quête des codes sources de la matrice et de l’origine véritable des Goa’ulds.
Même si ça en étonne encore certains, après tant d’années passées à me palucher et à déverser ma gerbe d’or sur des glitchy beats et des lacs de bruit blanc, je ne me suis jamais vraiment positionné en critique. Un peu parce que je n’en vois pas l’intérêt, et surtout parce que je ne sais pas le faire. Mais voilà, sans sombrer dans le fanatisme en répulsion (ou l’inverse) et dans une critique que mon maigre bagage technique ne me permet pas, je dois avouer que le travail et la démarche de M.E.S.H m’irritent les pores autant qu’ils m’impressionnent.
Fine analyse hertzienne pour ce qui est du choix et de l’amplitude des fréquences, marquage « Bass » réduit à l’essentiel, force de sourde frappe digne d’un stoppeur batave, mastering alliant les dynamiques autant que tout ce qui doit te péter à la gueule juste quand il le faut, ce Piteous Gate contient tous les éléments pour dérouler le tapis rouge à M.E.S.H. devant le Stargate des sound designers du turfu. Mais comment ne pas s’agacer devant autant de froideur clinique, devant un album qui qu’on le veuille ou non demeure un pur produit démonstratif, et ce malgré d’épars résidus de mélodies crépusculaires et de cordes joliment traitées (l’excellent The Black Pill).
Alors peu importe l’excellence indéniable d’un Thorium, doté des myriades d’uppercuts gauches de Pacquiao et de l’intraçable jeu de jambes de De la Hoya, ou les flottaisons narcotiques en slow motion d’un Kritikal & X. Même après un nombre important d’écoutes de l’album dans son entièreté, on soupçonne l’américain de nous avoir lustré la luette pendant plus de trente minutes pour ensuite nous y carer une meringue frangipanée au canon scié : le tubesque et irrésistible Epithet.
Le souci principal est qu’après une saillie pareille plus rien n’a d’importance.
Post-coïtus, animal triste.
L’admiration profonde laisse alors rapidement la place à l’amertume sur les joyeux sentiers de la cocufiance. Pareil largage a, à dire vrai, ce petit quelque chose de faussement désinvolte et de résolument outancier. M.E.S.H est pire que doué mais il en fait trop, comme une juvénile amazone trop sûre de son twerk et pour qui la justice tantrique est une fraction physique. L’auditeur passionné n’est pas une victime bafouée un critique, il donne du Luv à ceux qui l’ont fait couiner. Reconnaissons donc et malgré tout, à ce niveau là, M.E.S.H. et son Piteous Gate comme de foutues machines de guerre.