Catapulté malgré lui et plutôt injustement il y a plus de vingt ans comme le père du dark ambient, le gallois Brian « Lustmord » Williams est un mythe. Presqu’autant pour les éternels soldats de l’indus que pour les métalleux hirsutes. Avec une vingtaine d’albums à son actif, Lustmord n’a jamais eu pour autres ambitions que de se placer en explorateur des ténèbres. Ses collaborations avec Tool, The Melvins et ses apparitions régulières sur Ipecac et Hydrahead (respectivement labels de Mike Patton et Andrew Turner, le leader d’Isis) lui ont permis d’accrocher un public plus jeune et moins nostalgique de la première période de Cabaret Voltaire.
J’avoue sans mal ne pas être un grand fan de dark ambient en général, style que je réduis souvent à un « atelier patouille » mal mixé à destination de joueurs de Warcraft récalcitrants, qui continuent d’engloutir des livres dont ils sont les héros en bouffant des bolinos supplément gluten et diacétyl. Des punks à chats quoi.
J’ai bien sûr abordé les discographies de Raison d’Être, de Cabaret Voltaire, de Lustmord bien sûr, et plus récemment de Kraken. J’y ai trouvé d’excellentes choses, mais j’y suis rarement revenu. Si le travail de celui qui nous occupe aujourd’hui m’a surtout séduit sur Heresy et sur le Stalker réalisé avec Robert Rich, le fait d’avoir pu le voir se produire en live au Maschinenfest en 2011 (le mec n’a dû en faire que 5 dans toute sa carrière) m’a conduit à envisager sa musique autrement.
Parce que de ce que j’en ai aperçu, Brian Williams est un personnage autrement plus « fun » et plus ouvert que sa musique. Le gars possède l’humilité des vétérans qui n’ont plus rien à prouver, est capable de livrer une interview sur un parking entre deux Simca 1000, d’énoncer en se gaussant que l’exercice du field recording est une chienlit absolue, et de réaliser un breakdance devant deux gothiques ébahis. Il rit des représentations qui le précèdent, n’a rien à voir avec ces gentils adorateurs de Satan qui égorgent des chats en criant son nom. Il n’écoute même pas de dark ambient. C’est un punk à l’ancienne, pas par mode, juste par philosophie.
Si son The Word as Power sorti il y a trois ans sur Blackest Ever Black m’avait fait l’effet d’une mauvais blague, j’ai laissé une chance à Dark Matter, album dont le gallois évoquait l’hypothétique sortie régulièrement depuis 2001, parce qu’il sortait chez la crèmerie Touch, qui demeure pour moi un gage de qualité. Et je n’ai pas été déçu, loin de là.
Réalisé à l’aide d’une colossale banque de sons réunie auprès des plus grandes agences spatiales, Dark Matter est une longue et sombre expérience régénérante de 70 minutes divisée en trois parties. Une immersion radicale et totalitaire dans la richesse du néant. Une éternelle dérive dans un trou noir, où la lenteur et les infrabasses sont les uniques dentelles auxquelles se raccrocher dans ce que la tentation vertigineuse du vide a de plus magnétique.
Certaines mauvaises langues diront que la description énoncée ci-dessus est un parti pris chronqiue chez Lustmord, et ce n’est pas complètement faux. Mais la qualité du son n’a jamais été aussi limpide, aussi polie et aussi magistralement produite. Si la violence de sa musique est aujourd’hui moins frontale, elle s’épanouit dans les interstices de la narration et résonne autrement plus adulte et « professionnelle » qu’auparavant.
N’étant pas féru de manifestations chimiques en milieu dépourvu d’oxygène, de déflagrations de plasma caressant la croupe du mur du son, je vous épargnerais un descriptif vaguement scientifique digne d’un Haroun Tazieff ou d’un Hubert Reeves des caves. Je me contenterai de dire que j’ai entendu des loups hurler du Lovecraft dans les steppes d’Astronomicon. Et que j’ai trouvé ça beau, presque à en pleurer.
N’ayons autant peur de la sombritude que des mots. Dark Matter est un des tous meilleurs albums de Lustmord. Un travail magistral, à écouter avec attention au casque et sur installation pour s’endormir. Pour trouver l’apaisement, dans ce que le noir a de plus complet et ce qu’il apporte comme sentiment de plénitude. La lumière et le temps détruisent tout tandis que tout naît dans les ténèbres. Sur ou sous la terre comme au ciel, Lustmord vous y convie. Bonne naissance dans un trou noir les petit(e)s.
Très pertinente chronique. Il me tarde d’écouter cet album dans son entièreté.
Si je rejoins pleinement l’appréciation, critique et rétrospective, que vous proposez de la discographie de l’auteur (elle consiste, sous couvert d’un certain subjectivisme -je réitère mon absolu correspondance avec votre opinion-, à identifier les deux carrefours structurels dans l’oeuvre de l’auteur : Heresy et Stalker), je peine, en revanche, à comprendre votre aversion pour le précédent opus (The word as power).
Il m’a semblé discerner, dans le préalable album, une rupture paradigmatique et passablement réjouissante, avec les codes habituellement proposés par Lustmord.
Certes, mon écoute de ce « Dark matter » demeure parcellaire et superficielle ; elle me semble toutefois se faire avec l’impression, conventionnelle et paresseuse, de n’écouter qu’un nouvel album de Lustmord, à compiler dans le reste de sa discographie (cela dit -et vous le remarquez fort bien en exergue de votre analyse-, Lustmord est un « mythe »…Les oripeaux utilisés fonctionnent merveilleusement ; nous demeurons en territoire connu).
Merci pour votre bulletin !