Cinq ans après leurs débuts, individuellement ou en duo, les deux membres de Lumisokea sont considérés comme des valeurs sûres. Type, Line, Alter ou Opal Tapes bien sûr, ne s’y sont pas trompés. Andrea Taeggi et Koenraad Ecker sont d’ailleurs tellement convaincants l’un sans l’autre que j’ai pu douté, lors de moments d’égarements, de leur capacité à proposer à nouveau quelque chose de qualitatif en duo. Transmissions from Revarsavr est pourtant sorti le mois dernier chez Opal Tapes, label qui en 2015, hormis certaines fulgurances venues de Xosar et publiées sur la division Black Opal, nous a clairement moins fasciné qu’à l’accoutumée.
Comme son intitulé l’indique, l’album du jour puise dans le patrimoine des précurseurs industriels russes des années 20. Arseny Avraamov ou Vladimir Popov. Plus particulièrement du matériel Noise Instruments transmis en héritage par le premier cité. Même si cette deuxième précision devrait en laisser certains légèrement plus dubitatifs, il faut noter que le duo s’est également servi de l’héritage rythmique des cultures indiennes et coréennes pour parfaire et « exotiser » cette nouvelle plaque.
Le moins que l’on puisse dire est que leurs recettes et méthodes de composition ont aujourd’hui encore franchi un nouveau palier. Ces deux musiciens, qui viennent du jazz et de l’improvisation, semblent aujourd’hui tellement bien se connaître qu’on ne peut même plus parler de complémentarité, mais bel et bien de symbiose. Rarement on aura vu des gaziers se réclamer de l’improvisation et dégager autant de maîtrise. Encore plus remarquable que ça, même si le sampling continue de constituer un élément central de leur travail, le duo réalise la performance d’expérimenter concrètement (l’adjectif n’est pas choisi au hasard) sans se focaliser sur tout le caractère élitisto-abstrait trop souvent conféré au genre.
Ce qui frappe en premier lieu, outre cette troublante capacité à inscrire une oeuvre tombée en désuétude dans un présent recomposé, c’est la nature particulièrement charnelle des différents matériaux percussifs. Là où beaucoup d’autres se seraient contentés de partir en quête des percs sytnthétiques idéales dans une base de données, ou même de la boucle bêtement et simplement efficace dans Max/Msp, le duo belgo-transalpin a choisi de se référer à des éléments rares de Noise Instruments et à en créer visiblement certaines de toutes pièces.
Il s’en dégage une ambiance majoritairement industrielle, intoxiquée par d’hypnotiques mutations. Certains titres, ostensiblement axés sur la rythmique, évoquent des traques virales dans des souffleries laissées en jachères mais hantées par un passé florissant. Sur les excellents Whirling Dervishes, Uroboros (à l’héritage bass/dubstep primitif du plus bel effet) et le dantesque Nanissàanah final, des phénomènes de transes rituelles peuvent même être conviés. D’autres titres, comme Buk et Engrams, à propos desquels on évitera de supputer sur le ratio collages/field recording pur, se concentrent sur des tableaux sourds et poisseux, dotés d’ambiances lourdes et d’un oxygène raréfié. Ceci renforçant habilement le côté « usine à gaz » de l’album, et ce au sens propre comme au figuré.
Invitant autant à la danse qu’à l’introspection, Transmissions from Revarsavr n’est pas troublé par la froideur clinique qu’on aurait pu redouter sur le papier. C’est en tous cas un énième exemple de la virtuosité d’un duo aujourd’hui devenu poids lourd, et d’une palette de création qui ne semble pas connaître de limites. Seule ombre au tableau, la version vinyle est déjà sold out. Opal Tapes commence bien l’année tandis que les Lumisokea poursuivent leur sans-faute. Chapeau.