Pianiste et compositeur piémontais né en 1955, Ludovico Einaudi n’est pas l’ami de « l’inteligencia classique ». Avant tout parce qu’on lui a souvent reproché de collaborer avec le cinéma. Et aussi probablement parce qu’il est un mélodiste hors du commun qui est aimé du grand public, et ce malgré l’incontestable et reconnue influence qu’ont eu Cage, Reich et Glass sur sa musique. Elève de Luciano Berio, il fait partie des rares musiciens issus de l’école « minimaliste » à avoir touché un auditoire aussi large. « Mainstream », « easy listening », voilà les qualificatifs rarement positifs qui lui sont acollés par la critique plus ou moins honnête depuis ses débuts. Il faut dire que l’intégration de certains de ses titres aux bandes originales de films tels Aprile (Nanni Moretti), This is England, J. Edgar (Clint Eastwood) mais surtout le multi-césarisé Intouchables, n’ont certainement pas aidé à le rendre plus fréquentable. Sans même citer les contributions à des campagnes de pub matraquées. Toujours est-il que sa musique, simple et résolument immédiate, est juste belle à s’en damner. Son premier opus de 96, Le onde, ses ouvertures vers l’Europe de l’est sur Eden Roc (le duduk de Djivan Gasparian y est magnifique) ou encore son best-seller Night Book, sont tout aussi recommandables même si sortis sur des majors. L’italien a malgré tout joué à la Scala ou au Royal Albert Hall. Tout ça pour dire qu’il est bien loin de la vulgarisation dont on l’accuse régulièrement. In a Time Lapse sort aujourd’hui même dans presque tous les disquaires du monde, et même si j’avoue détester tout ce qui fédère, je peux te garantir d’ores et déjà, lect(eu)rice, que ta mère et ta moitié vont aussi apprécier que tu l’acquières.
Fort du succès de Intouchables, on aurait pu penser qu’ Einaudi allait encore un peu plus pousser sa capacité à réunir, et donc se montrer encore plus accessible. Pas du tout, l’italien a juste opté pour la continuité, et si cet album se veut comme inspiré par le temps qui passe, nul doute qu’il est aussi un regard lucide et sensible sur ses presque 20 ans de carrière. Des pianos solos aux parties bien plus symphoniques, des invitations plus world (comme avec le joueur malien de kora Ballaké Sissoko) aux ouvertures légèrement électroniques. Sans être une synthèse pompeuse de tout son répertoire, In a Time Lapse est donc avant tout influencé par sa propre histoire.
Einaudi s’est enfermé avec son orchestre dans un monastère aux environs de Vérone. Sans même les voir, les moindres recoins de ce lieu sans doute sublime, éclatent à chaque mesure, bien aidés il est vrai par une acoustique de très très haut niveau. Le son est donc léché mais sans excès, tout en équilibre et en nuance, et se fond parfaitement dans l’aspect narratif propre à chaque morceau. Si l’italien n’est pas reconnu pour ses prises de risque et qu’il donne parfois l’impression d’empiler les gammes, il possède un touché définitivement incroyable. Léger et aérien, apte à conter de belles et touchantes histoires, fondues dans des tranchées d’ivoire.
A l’heure où les jeunes pianistes surbuzzifiés du modern classical se gratte la mêche, en déclarant que leur main droite ignore souvent ce que fait la gauche, Einaudi persévère dans ses canevas harmoniques simples et très tonaux, sans évolution fondamentale dans les thèmatiques. Et pourtant, mélodiquement parlant, ses morceaux vont très très loin dans la charge émotionnelle et trahissent un travail colossal de composition pure. Car le piano n’est finalement pas son instrument principal, si on entend avec quelle évidence (et sans la moindre autorité guerrière) les différents musiciens s’agglomèrent dans chaque tableau. Il y a même une grande majorité de moments où l’ensemble supplante l’élément central (en comparaison du certes très joli piano solo Discovery At Night, qui révélera avec le temps des contours un peu trop lisses et réellement simplistes pour le coup).
La force de Einaudi et de son orchestre réside dans son habileté à envahir le moindre espace de nostalgie rieuse, d’un regard rassuré sur les petites affres du quotidien face aux vrais coups durs potentiels. Toutes ces histoires ont sans doute leur lot de casseroles au cul, mais ont décidé de couper le fil qui les y rattache. Le piémontais compose une musique qui a décidé d’être heureuse par la force des choses, pas par évidence, ni par gratuité. Elle trouve toute sa splendeur lorsque tour à tour, chaque instrument vient grossir la vague mélodique en changeant sa place dans le plan, et en se révélant comme élément perturbateur du récit. Life ou Run sont de très beaux exemples, tout comme Walk même si la vision subliminale d’un Omar Sy y souriant de toutes ses dents m’empêche encore de l’apprécier à sa très haute et juste valeur. Citons alors Brother, ressemblant à un très beau piano solo jusqu’à 1’38, quand tout se reserre soudain en cavalcades et cabrioles de touches, sous couvert de crins tendrement égratignés en série. Et il y a cette pulsation, semblable à un kick techno, qui te donne inévitablement cet air con quand tu hoches la tête en souriant sans savoir pourquoi. Sans oublier les intrigues de Newton’s Cradle, où l’italien modifie sensiblement son approche et intégre autrement mieux l’électronique que sur le pourtant très beau titre qui donne son nom à l’oeuvre. Ses sursauts, ses faux retours en arrière agissent comme un repoussoir à des indésirables visiteurs du soir. Magnifique, du grand art. Mais rien à côté des phénomènes de compositions que sont Experience et Underwood. Là où tout l’ensemble prend corps et se gorge de chaleur, perce tant l’âme et le coeur qu’il est presque impossible de ne pas céder aux pleurs. Le violon de Daniel Hope y répend tout son nectar dépourvu du plus éculé des désespoirs. Le sud-africain sublime ces morceaux déjà exceptionnels et se révèle ici bien plus qu’un simple invité. Comme par enchantement, le titre de fin a la bonne idée de se nommer Burning. Du mainstream comme ça, je veux encore m’y brûler les doigts.
Bien loin des comparaisons faciles et farfelues avec Hans Zimmer ou Yann Tiersen, Ludovico Einaudi réalise ici un splendide album de musique classique accessible au plus grand nombre. Certains choisiront de le détester simplement pour ça. D’ici là lecteur, apprécie ce travail aussi humble soit-il, car c’est un bien réel dans un monde incertain. Va paisiblement ton chemin à travers le bruit et la hâte, et souviens toi que le silence est paix. Malgré les vilenies, les labeurs, les rêves déçus, la vie a encore sa beauté. Sois prudent. Essaie d’être heureux(se). (Auteur anonyme mais pas que). Sinon, tu peux aussi aller chez Virgin avant que ses salariés ne clamsent.
Je mets ça ici mais je ne sais pas si après tant de bières c’est le bon endroit, mais merci. Car je découvre des choses, des artistes, de mon côté, mais ici j’en ai la preuve que nous sommes du bon côté des envies, de la vie.
Et j’achète des cds et je sens heureux,
Donc merci pour les artistes, pour le travail que tu fournis sans attendre de retour. Ce message en est un, un retour sans détour