Qu’on se le dise, ce disque semble avoir vu le jour pour faire pleuvoir les allusions lynchiennes. Pas seulement parce qu’Alex Zang Hungtai des Dirty Beaches, un des saxophones de Love Theme, fait une apparition dans la troisième saison de Twin Peaks. Mais surtout parce que le projet, hébergé par la maison Alter de Helm, parvient à créer un univers moite et ambigu où il est possible de sculpter des scénarios alambiqués à même la fumée. Deux saxophones, un drum kit, des guitares alliées à des armes de synthèse, un setup finalement assez rudimentaire pour dessiner un monde entre parenthèse.
Comme son intitulé l’indique, le groupe explore la thématique de l’amour. Tout comme l’avait suprêmement fait John Coltrane, le trio a compris que le saxophone était l’instrument de fusion parfait pour retranscrire toute la pluralité du sujet. Pour transmettre chaleur, sensualité, mais aussi son lot de lamentations.
Mon Dieu, Desert Exile…
Love Theme dépeint ici la fournaise sentimentale sous les contours de l’affliction. Dans ce que l’amour a au fond de moins rassurant, dans ce qu’il fait perdre de soi et dans ce qu’il représente comme équilibre du désordre. L’improvisation pour exprimer le « lâcher prise », libérer le saxophone de l’enfermement institutionnel du jazz pour en faire l’humble serviteur d’une ambiance. Torride, âcre, où les spectres lascifs se déshabillent sous les apparats de la lenteur. Que peut-il y avoir d’agréable dans un feu qui dévore, et dans le fait d’avoir des papillons qui nous traversent le corps ? Peut-être parce qu’au contraire des éphémères, ce sentiment sait survivre à l’aurore.
L’album allie parfaitement les sensations de flottement et de morcellement intérieur, tutoie l’excellence malgré un accroc de taille. La pièce en triptyque Docklands / Yaumatei / Plum Garden vient casser la lente dynamique de l’immersion avec une injection de corps gras que l’album ne méritait pas. On touche là pour moi les limites et les errances des musiques improvisées. Les guitares sont trop grossières, le beatwork trop primitif. Voilà qui se voudrait comme une idyllique rencontre entre les Young Gods et Zu, mais qui tombe parfaitement à plat. Terriblement frustrant, surtout quand on sait que le groupe aurait pu s’inspirer des travaux de connaissances comme Stephen O’Malley, Atsuo ou Michio Kurihara (tous deux guitaristes de Boris) pour parvenir à un tout autre résultat.
Fort heureusement, absolument rien n’est à jeter si ce n’est ça.
Précisons également que ceux qui attendent un jeu de sax résolument jazz pourraient être déçus. Bien que très « ambient », l’utilisation du cuivre renvoie ici plus aux fusions prog/psyché qu’on entendait dans les sphères rock des années 70.
Love Theme n’en est pas moins un bien bel ouvrage. Un regard sur l’amour prompt à créer des rêves que l’on ignore. Accueillons donc avec ferveur et respect de nouveaux adhérents au Club du Gore.