Malgré les apparences et la dictature de la sacrosainte actualité buzzifiable, Lee Gamble n’est pas né le jour où il effectua son Live in the Boiler Room. S’il n’existe que peu de traces écrites à propos de ses faits d’armes en tant qu’artilleur jungle, c’est sans doute parce qu’il était un discret officier d’une période où la clandestinité était de mise. Oui jeune paddawan, la musique électronique existait avant internet. Toujours est-il que ce véritable précurseur connait actuellement un vif regain d’intérêt. Sans doute parce que seule la maison PAN, scrutée aujourd’hui comme un label essentiel, pouvait abriter ses ubuesques expérimentations bien digérées.
Même s’il m’est impossible de ne pas placer le très plombant Som Sakrifis du trio Mohammad au dessus de toutes ses sorties, je constate que même si l’antre de Bill Kouligas accueille en son sein bien des nerds qui aiment à se branler dans du bruit blanc, des algorythmes easy avec un séquenceur en pilote automatique, il y règne une constante désinvolture ludique qui force le respect. Certains, particulièrement dans le vrai, parlent même d’une alternative durable aux Editions Mego. Ce présent Koch est à placer dans leur rayon « dancefloor », et ce même si tout le versant « expérimental » qu’il contient pousse à ne pas le réduire à de trop facilement étiquetables appellations.
Dire que Koch ne sera pas l’album de chevet des diggers férus de tunnels techno actuelle est un euphémisme. Encore moins chez ceux qui osent encore prononcer en 2014 la dénomination « techno minimale » (lol). Lee Gamble n’intervient pas en suiveur et se fout considérablement des modes. Il y a d’ailleurs de fortes raisons de supposer qu’il se fout complètement de tout. Et même si la totale irrévérence qu’il voue au milieu ne suffira bien sûr pas à faire de son Koch un grand disque, j’avoue avoir toujours de l’affection pour les savants un peu fous et carrément désinvoltes.
Dire que Koch respire sévèrement la fièvre « UK rave », voilà un deuxième euphémisme. Mais plutôt que d’en faire un vulgaire objet de triste nostalgie pouêt-pouêt (toute référence à Syro apparaît comme tout sauf fortuite), le britannique a simplement fait son marché. A choisi l’essentiel de ce qu’il voulait garder, et a particulièrement souligné ce qui transcendait le mouvement à l’époque, bien loin de l’aseptisation et des postures actuelles : cette éperdue volonté de liberté.
Si des éléments clairement dubby accompagnant bien des titres n’ont intrinsèquement rien d’indispensables (plus particulièrement sur le faiblard Caudata), la construction rigoureuse des tracks en question, avec une martialité rythmique au fond toute sauf vaine et associée à des basses raclant les angles d’une architecture efficace et pragmatique, ils trouvent finalement bien leur place sur un album dont le concept était dévoilé dès les premières mesures de l’intro Untitled Reversion. Eveil béat, nonchalant et un peu druggy, avec le côté oniriquopsyché qui va bien, renforcé par les furtifs samples vocaux au milieu de You Concrete.
Vous avez dit sous-culture ? Les warehouses vous saluent bien.
Il y a donc forcément des titres aptes à renverser un dancefloor, comme l’abyssal Head Model, les rebonds des gluantes basses associées aux progressives hachures rythmiques du trop court HMix, mais où dans une veine semblable, Jove Layup pourra même prétendre à l’excellence. Le complètement dingue Gillsman est également à citer, et tout particulièrement. Il fait partie de ces titres où lors d’une écoute domestique attentive, tu te cherches un ami mâture qui a connu l’âge d’or. Pas pour se tailler des flûtines, juste pour lui dire et lui demander : »Putain, toi même tu sais. Nan mais ce truc là, c’est de la house ou quoi ? »
Et malgré ces pépites là, Koch se transformerait sans doute en un disque trop long, indigeste, sans les bidouillages informatiques géniaux et les expérimentations plus que bien maîtrisées qui font à mon sens toute la sève du disque. Comme sur Nueme, où on se demande quel laborantin a pu planifier tel échafaudage rythmique, granuler de pareilles textures et en cristalliser d’autres. Même constat pour la mixture faussement anarchique mais complètement vrillée de Voxel City Spirals, qui exhale même parfois certains parfums de rap viral. Et que dire du psychotique et enchanteur Yehudi Lights Over Tottenham (oui oui, t’a bien lu) si ce n’est que sur le plan mélodique, c’est sans doute la pièce expérimentale la plus remarquable que j’ai pu entendre depuis longtemps.
Là où son Dutch Tvashar Plumes de 2012 manquait de maîtrise et de cohérence, Lee Gamble s’élève ici au sommet de son art avec un Koch qui puise son sel aussi bien dans la nostalgie que dans l’avant-garde. Un synthèse remarquable à mon sens, qu’il ne faudra surtout pas réduire à un simple document. Un disque important, et pas seulement pour PAN.