Boris et Marie se sont aimés. Suffisamment pour imaginer que cela durerait, et pour concevoir deux enfants : les jumelles Jade et Margaux. Après quinze ans de vie commune, ils décident de se séparer. Marie est propriétaire du très bel appartement qui a pris une plus-value non négligeable grâce aux travaux de Boris. L’appartement et ce que chacun estime pouvoir en récupérer deviennent en apparence les seuls enjeux d’une séparation (dans la cohabitation) qui s’installe dans le temps. Toutes les bassesses, plus ou moins conscientes, sont alors permises pour remporter une quête de reconnaissance, une lutte égotique dans laquelle le couple est prêt à tout, si ce n’est à s’économiser.
J’avoue ne pas être très client du cinéma de Joachim Lafosse. Pour être plus « objectif », je n’aime pas de quoi il se nourrit. Souvent de sinistres faits divers encore chauds, qu’il jette sur les écrans sans se soucier des répercussions sur les véritables protagonistes. Je me le représente comme un petit fonctionnaire du sordide avide de provocation et de sensationnel. Je craignais donc un film caricatural de comptable, uniquement concentré sur les aspects économiques et matériels. La bande annonce, accompagnée d’une musique absolument horrible, renforçait l’idée de mon procès d’intention. Pourtant, ça n’a pas entamé ma motivation à aller voir un film sur un sujet qui me touche particulièrement, mais que je m’attendais à littéralement détester.
L’économie du couple est en fait un film assez malin, subtil, réaliste et même moderne, qui parlera surtout à ceux qui ont dépassé la trentaine, qui connaissent ou ont connu les phases critiques d’une séparation au long cours. Ils ressentiront d’ailleurs probablement les mêmes aigreurs du malaise quand ils se trouveront des similitudes dans les réactions du couple, là où les nombreux marqueurs de la manipulation et de l’égoïsme dépassent la teinte de l’écarlate. « Ces petits riens » sont difficilement repérables lorsqu’on est un acteur pris dans ce genre de spirale. Leurs traits font donc d’autant plus mal, à distance relative d’une fiction posée sur un écran vis à vis duquel il est ici difficile de prendre du recul.
Dans un huis-clôt oppressant, Lafosse filme au cordeau toute la difficulté de ces deux individus qui s’aiment mal ou ne s’aiment plus. Tous deux incapables de reconnaître ce qu’ils se doivent l’un à l’autre et à eux-même, et tout ce qui fait qu’ils ne seront jamais le symbole gémellaire qu’ils sont néanmoins parvenus à enfanter. Le film pose aussi la question du comment quitter convenablement quelqu’un qu’on a énormément aimé et qu’on finit par ne plus supporter, et renforce l’adage qui dit qu’on finit avec le temps par quitter l’autre pour les mêmes raisons qui ont faits qu’il a pris une place dans notre vie, encore plus quand l’égoïsme et l’instinct de survie reprennent leurs inaliénables droits.
Le plus désarmant ici est que cette séparation est devenue un mode de vie qui s’installe, un sacerdoce où nul ne lâchera rien sur ce qu’il attend récupérer du théâtre de la passion d’hier. Où enfants et amis sont otages et pantins innocents de cette lutte à mort, et où le fric et les aspects matériels sont au fond des caches-sexes, puisque ce n’est (heureusement) pas ce qui a conduit à ce qu’ils s’aiment un jour et ce pourquoi ils ne s’aiment plus aujourd’hui.
Le tableau du quadra partiellement irresponsable, incapable de laver ses fringues, de reconnaître les attributs et les enjeux qu’il place en sa femme tout en n’acceptant pas qu’elle puisse être économiquement plus viable que lui est dramatiquement réaliste. Cedric Kahn, que je ne connaissais jusqu’ici uniquement qu’en tant que réalisateur, est parfait dans le rôle de celui qui s’accroche, qui veut finalement gagner plus de temps que de fric car il sait, lui, que tant qu’il occupe les lieux et les esprits, la séparation n’est pas effective.
Bérénice Bejo ne parvient quant à elle qu’à de rares instants à trouver la pleine mesure de cette battante un peu dépressive, pour qui la séparation a aussi toute une portée symbolique d’émancipation beaucoup plus large. Celle d’une femme de son époque qui décide de vivre pour elle et de ne rien devoir à personne, qui veut élever ses gosses tout en travaillant, et qui souhaite ne surtout pas ressembler à une mère (Marthe Keller) aux prises avec ses représentations générationnelles, où il est encore possible de raviver l’amour et le désir comme on répare un évier bouché. Je ne la trouve réellement pertinente et touchante que lorsqu’elle lâche un peu, quand elle cesse d’être arc-boutée dans sa posture et qu’elle accepte, même à de furtifs instants, pas pour lui ni pour ses mioches, de l’aimer, encore un tout petit peu, pour ce qu’il a été et ce qu’il aurait pu être.
N’appréciant que très peu les enfants au cinéma, je ne dirais pas grand chose de la prestation des jumelles. Si ce n’est qu’elle est absolument terrifiante d’authenticité et de justesse. J’ose espérer néanmoins que pareille expérience ne leur offre pas un futur passeport chez le psy.
L’intérêt du film réside dans les partis pris radicaux de Joachim Lafosse. De ne quasiment rien dévoiler de ce pourquoi ils se séparent, de ne rien montrer de ce qu’ils vivent individuellement hors du huis-clôt. De se focaliser sur ce qu’ils ont continué, malgré tout, au moins un temps, de partager. Ce film est à recommander à un public adulte et averti, plus à ceux qui savent ou acceptent que la vie de couple n’économise en rien l’amour qu’à ceux qui voudraient préserver l’espoir d’un long fleuve tranquille.