John, une tête de lune à la blondeur opaline, doté de ces physiques « ramassés » qui transportent comme un halo de mystère aussi séduisant que terrifiant, en est à cet âge ingrat, où l’on sort à peine de l’adolescence et où l’on est brusquement propulsé vers l’âge de la raison. Celui où l’on se doit d’être responsable face à ses actes et ses choix, et face à l’avenir incertain.
Si John n’a justement pas les armes pour être responsable, il est néanmoins coupable d’un crime terrifiant dont on ne sait au départ presque rien, si ce n’est que du fait de son jeune âge, il ne lui a coûté « que » deux ans d’incarcération en maison de redressement. Son père vient l’y chercher pour le ramener à la maison, dans une ferme du centre de la Suède, avec l’illusoire volonté de lui offrir une deuxième chance là où tout a basculé. Au lycée et au village, le regard et le souvenir des autres percent le front de John encore plus profondément que le clou d’une sentence judiciaire. Comment continuer à vivre parmi ceux pour qui John demeurera condamné à perpétuité, encore plus quand il a pris la vie à une personne qu’il aimait tellement qu’il aurait pu lui offrir la sienne ?
Le jeune réalisateur Magnus Von Horn a choisi Ulrik Munther pour incarner John. Et quand on sait qu’il est en Suède une icône physique et musicale pour les adolescentes, on comprend mieux certaines ambiguïtés et certains partis pris radicaux de mise en scène.
Lors des deux premiers tiers du film, où le réalisateur use du contre et du hors champ avec une outrance volontaire, John apparaît à l’écran avec cette démarche maladroite du nouveau mort/né errant à l’intérieur de lui même et revenu de nulle part, comme s’il s’excusait encore une fois d’être là. La moindre de ses émotions est contenue, et lors de longs plans terriblement austères et dépourvus de tout ornement musical ou d’effusions sanguines, ses non réponses, les coups (subis ou offerts) et les rares moments où il s’anime affublent le film d’une violence sèche, encore plus inouïe que le cri de Munch, et donnant un visage très juste à la psychose adolescente. Si peu de doutes subsistaient sur l’avènement d’une nouvelle décompensation, Von Horn fait preuve d’une maîtrise impressionnante dans sa narration lente et dans son crescendo de tension.
On pourra bien sûr détester ce film pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles je l’ai aimé. Plus particulièrement encore pour son austérité plombante et pour cette totale absence d’informations et de sensationnalisme qui n’altèrent pour moi en rien la puissance brute, mais dont les grilles de lecture et d’analyse n’apparaîtront que quelques jours après l’impact de l’uppercut. L’absence de la mère dans la famille et l’environnement pathogènes du coupable, l’absence du père chez la victime, offrent une perspective de lien pas si nébuleuse à mon sens, encore plus dans l’exposition subtilement opaque des situations.
La réalisation, le premier rôle et la troublante photographie peuvent aussi s’appuyer sur une galerie de seconds rôles particulièrement bien choisie, avec une préférence toute personnelle pour le personnage du grand père, lui aussi presque aussi touchant que glaçant. Le père aussi, pour qui la première mission de ses enfants est d’obéir, fait ce qu’il peut avec ce qu’il est et apparaît lui aussi très juste. La scène où il met un fusil dans les mains de son fils est juste hallucinante (une des rares fois où John sourit), et me rappelle étrangement le dialogue d’un auteur méconnu, qui ne se souvient plus si il l’a lui même écrit ou s’il l’a lu dans une autre vie, entre un rescapé anonyme du merdier et son thérapeute.
« Quand on supprime quelqu’un de ses propres mains en le regardant dans les yeux, on renonce à ces derniers vestiges d’humanité mais on contemple les tréfonds enfouis de celui qu’on tue. Parce qu’il se sait condamné, il vous offre une part de vérité qui relève de l’absolu.
_ C’était la première fois que vous assassiniez quelqu’un ? »
Dans un raclement de gorge maladroit mais qui lui permis de marquer une pose, le rescapé répondit avec un sourire cynique, dépourvu de remords mais aussi d’inconscience :
« Peu importe, ça fait en tous cas partie de ces rares moments où je me suis senti vivant. »
Le Lendemain est un film violemment troublant où le silence n’est pas un oubli. Sur la quête du pardon, même si elle mène parfois malheureusement jusqu’au suicide. Un film sur l’incapacité d’être après avoir été. Un long métrage froid, dépourvu d’artifices, qui rappelle à tous ces personnages qu’on ne peut prétendre à la responsabilité que lorsque on est en capacité de se reconnaître coupable. Et de s’accepter comme tel. Le Lendemain est une oeuvre recommandée mais réservée à un public averti, car son visionnage pourrait en hanter plus d’un(e) pour encore bien des nuits.
Un film très austère en effet mais c’est justement la longueur et l’immobilité des plans, des tas de scènes de vie quotidienne qui paraissent totalement anodines qui permet ce qui est pour moi la plus grande force du film : une putain de grosse immersion. En tant que spectateur on est totalement « investi » dans ce qu’il se passe, on ressent tellement les sensations de malaise que provoque la présence du protagoniste à tout ce qui est autour de lui…
Bref un très bon film, et une excellente chronique pour ne pas changer 😉