Benidorm Dream est un album grotesque, au sens littéraire du terme, un album mêlant le ridicule à l’effroi, flirtant toujours avec la caricature. Benidorm Dream est à la fois un cauchemar éveillé, une complainte dégénérée, un fix rétro-futuriste.
Benidorm Dream est un album malade d’avoir voulu observer de trop près son époque.
Le français Koudlam est suivi de près par toute la presse branchée depuis ses premiers ébats artistiques en 2007 avec l’artiste contemporain Cyprien Gaillard. A ce dernier les vidéos hallucinées dans les interstices urbains de villes oubliées d’Europe de l’Est, à Koudlam la bande-son chamanique possédée. Depuis Desniansky Raion (pas seulement les 4 minutes visible sur le net du clip See You All mais bel et bien le court-métrage intégral), le travail sur l’entropie n’a fait que se prolonger. Aujourd’hui, Cyprien Gaillard est moins présent dans le travail de Koudlam, mais ce dernier reste toujours un observateur aguerri de la géométrie urbaine et un habile utilisateur de la vidéo. Lorsque Koudlam sort un album, vous pouvez être sur que les clips l’accompagnant atteindront des sommets de puissance évocatrice. Et c’est bien entendu le cas avec Benidorm Dream.
Pour ce projet, Koudlam s’est enfermé 6 mois dans la cité touristique espagnole, vitrine mondiale d’un tourisme vorace et décadent. Benidorm c’est le Miami du pauvre, la Grande-Motte assumée, un monstre vertical vomissant ses tours bétonnées face à une Méditerranée apeurée. La ville est devenue, aujourd’hui, un lieu d’errance low-cost pour familles désoeuvrées. On s’y ballade, le mioche main gauche, la bière main droite, entre rues aux lumières stroboscopiques déphasées et impasses glaçantes, hésitant entre le club de strip-tease aguicheur et la discothèque décrépie. Toute la vulgarité d’un tourisme ogre s’y retrouve et patauge ainsi dans une insuffisance imposée. Mais, selon Koudlam, cette médiocrité ne doit pas se juger mais seulement s’observer. Après avoir lui aussi erré parmi la masse dans cette prison encadrée, il s’est enfermé dans une des tours pour écrire Benidorm Dream et proposer sa lecture de ce monde en vase-clos.
Il est indispensable de connaître cette genèse pour mieux appréhender l’album, tant ce dernier transpire la décadence et la mélancolie. Vous pénétrez dans un monde ou l’absence d’espoir se dilue dans le kitsch, ou le futur n’existe plus qu’à travers les souvenirs. Koudlam observe Benidorm côté béton et laisse la mer derrière lui. Ce qui l’intéresse c’est les mouvements humains entre les tours, les rencontres et les carambolages dans un univers les refusant par principe urbanistique. Il en ressort 13 histoires nocturnes grandiloquentes mais toujours touchantes.
Koudlam mélange les styles propre à la musique low-cost, lorgnant autant du côté d’un gabber supprimant toute forme de pensée, Negative Creep, que d’une trance 1er degré cafardeuse, Transperu, ou d’un r’n’b autotuné en mode First big love, Tycoon Love. L’enrobage sonore est outrancier à l’extrême mais se révèle paradoxalement sensible. Pour arriver à ce résultat, Koudlam ne lésine par sur les nappes de synthés ronflantes, toujours à la limite d’un mauvais-goût assumé. Ces synthés sont des balises, des éléments crépusculaires éclairant le ciel de Benidorm d’une lumière diaphane. La cité prend des allures de fantôme et l’album vous plonge dans une errance triste. A la fin, vous hésitez entre la baston, The Magnificient Bukkake (1756-1785), et la gueule de bois, Garden. Mais finalement, c’est vos souvenirs qui vous rattrapent puisque vous n’avez plus que ces derniers à revivre éternellement. Les 12 minutes de Nostalgia réduisent votre champ des possibles en dilatant le temps. Voir Benidorm et mourir.
Koudlam signe un album de pop décadent sidérant de justesse et de sensibilité. Son observation d’un tourisme de masse perdu dans l’anonymat d’une urbanité sans âme est cinglante. En transgressant la pop, il finit par la sublimer pour aboutir à un objet tristement grandiloquent et fatalement grotesque.