Composé du même line up, SQÜRL s’appelait encore il n’y a pas si longtemps Bad Rabbit. Jim Jarmusch, Carter Logan et Shane Stoneback avaient composé la B.O de Limits of Control en 2009. Le cinéma de Jarmusch a toujours entretenu des liens étroits avec la musique, ceci ne pouvait donc être qu’un coup d’essai. Cette fois-ci accompagné par le compositeur/luthiste renommé Jozef Van Wissem (avec qui Jarmush avait collaboré en 2012 pour Apokatastasis et Concerning The Entrance Into Eternity), le trio réalise le score de Only Lovers Left Alive, une magnifique histoire d’amour mise à l’épreuve par les rouages du temps et le déclin du monde, et dont le caractère « vampirisant » n’est finalement au fond qu’un détail.
J’ai lu un jour, de la plume d’un critique cinéma un peu plus stupide que la moyenne, qu’une véritable bonne B.O était celle qu’on n’entendait pas réellement pendant le visionnage d’un film. Voulait-il dire qu’elle accompagnait tellement bien le film en question qu’on ne pouvait l’en dissocier ? Même si ce constat est autrement plus plausible, bien qu’un enfonçage de porte béante en règle, accordons lui par contumace que dans le cas précis d’Only Lovers Left Alive, il est effectivement très compliqué d’envisager la musique sans le long métrage (et inversement). Pourquoi ?
Parce que j’ai beau aimer les guitares qui saignent et les amplis qui pleurent, les fabuleux travellings en bagnole dans un Detroit en friche (de nuit, forcément), ainsi que la vision des très esthétiques déambulations (blondes vénitiennes) dans les artères exsangues d’un Tanger sectionné à la gorge entre son glorieux passé et les velléités royales de modernisme, bah ça me manque cruellement pour avoir les yeux qui brillent autant.
Les combos rock psyché érigent souvent des temples à l’héro dans leurs albums. Si les musiciens en place ne révolutionnent pas le genre, même à grand renfort d’effets shoegaze (pas très doggystyle), accordons leur le fait de se soustraire à l’imagerie classique sans lui amputer certains phénomènes de « craving ». Streets of Detroit (forcément beaucoup trop court), The Taste of Blood (pièce centrale de la BO et du film, qui revient très régulièrement) et Spooky Action at a Distance sont des monuments de romantisme en tension. Comme des griffures, des stigmates invisibles sur et sous la peau, de celles qu’on ne ré-active que pour alimenter le souvenir. Celui de deux oiseaux de nuit dont l’amour ne peut connaître les lueurs du grand jour, un amour pourtant dépendant (du sang) des autres, des vrais zombies, ceux-là même avec qui ils ne peuvent et ne savent pas vivre.
Et il y a les cordes plus sèches, celles jouées par le luth (ou par le bouzouki grec, peut-être) de Jozef Van Wissem. celles qui apportent encore un peu plus de lumières funestes, d’aspects baroques et romantiques à une période tanjaouie où l’espace d’une étreinte, les rouages du temps ne seraient que cousus de velours. Son intervention sur le diptyque Sola Gratia, ou sur l’également très beau Our Hearts Condemn Us, apporte son lot de beauté charnelle, comme le cri sourd et délicat des doigts lorsqu’ils effleurent la soie.
Du côté des furtives apparitions, la voix nasillarde de Madeline Follin n’apportera pas grand chose à un titre certes efficace (Funnel of Love), mais qui ne devrait pas mettre sur le cul les inspirés adeptes de la meilleure période des Black Angels. Idem pour les murmures et les lamentations damnées de Zola Jesus sur In Templum Dei, sans comparaison cette fois. L’apparition de la chanteuse libanaise Yasmine Hamdan est autrement plus remarquable, même si la sensualité exacerbée et la tension magnétique de Hal revêt tout son contenu philosophique et sa signification peu avant l’épilogue du film.
Only Lovers Left Alive est à envisager comme un film et une B.O qu’on s’injectera dans la veine pour se sentir plus proche d’un voeu. Celui où les vestiges de l’humanité et ses eaux viciées n’auraient aucune influence sur le destin de deux êtres d’exceptions, assis sur les rebords d’un monde en perdition, et sur les raisons de leur propre existence. Sacrifier des fans de Twilight en offrande au bon goût pourrait également s’avérer utile. Le temps (op)presse, ne le perdez pas.
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