En faisant chavirer les genres et les frontières géographiques, le projet Jerusalem in My Heart noue des passerelles inouïes entres les cultures.
Le label Constellation (sur lequel on retrouve Godspeed You! Black Emperor, ou Colin Stetson dont le nouvel album sortira à la fin du mois prochain) livre ce mois-ci un disque tout à fait singulier d’un projet né en 2005 sous l’impulsion de Radwan Ghazi Moumneh. Ce dernier vit au Québec depuis plusieurs années, mais il est originaire du Liban où il retourne régulièrement, œuvrant au sein de la scène expérimentale de Beirut.
Si Jerusalem in My Heart compte aujourd’hui trois membres principaux (à Radwan Ghazi Moumneh s’ajoutent la chilienne et vidéaste Malena Szlam Salazar ainsi que le français Jérémie Regnier), ses dimensions sont restées variables, ayant déjà accueilli jusqu’à 35 participants sur scène. La performance scénique, fortement visuelle et soutenue par des projections multiples, n’est jamais la même. On comprend ainsi mieux pourquoi aucun album n’était encore paru à ce jour.
Jeux de lumière lunaire, cycles qui se répètent ou se désagrègent. Mo7it Al-Mo7it est un instantané de notre époque, un regard posé sur la tradition digérée par le temps présent. Un témoignage. Les instruments traditionnels laissent s’étendre les manipulations électroniques quand le chant s’ouvre aux distorsions et réverbérations. Le nom des pistes est rendu en langage sms, tandis que l’album s’inspire de L’océan des océans, la première encyclopédie arabe rédigée par Boutros Al-Boustani. Ce dernier constitue l’un des piliers d’une certaine renaissance arabe au XIXème siècle, ancrée dans la modernité. En y regardant de plus près, on trouvera également que l’album est en partie dédié à Mohammad Al-Bouazizi, ce jeune tunisien qui avait tenté de s’immoler par le feu à la fin de l’année 2010, participant au soulèvement du peuple tunisien.
Alternant pistes instrumentales et pistes chantées en arabe, Mo7it Al-Mo7it fascine par son étrangeté. Imprégné par un buzuq dévorant, l’album est un remuement incessant de sursauts de mémoire, de regards ébréchés et de silhouettes arrachées au temps. Sur une piste comme Yudaghdegh al-ra3ey wala al-ghanam, la beauté de la voix et de la langue brûle le sang et les os dans une lumière aride. Album de contrastes, où l’on croise synthétiseurs, vocoder, mais aussi chants d’oiseaux ou drones, Mo7it Al-Mo7it possède une force mystérieuse et hypnotique.