Hugo et ses potes du TSR Crew ont débarqué dans le rap sans frapper. Avec spontanéité, désinvolture, respect, mais sans déférence vis à vis des aînés qui tiennent à conserver leur place au chaud. Fenêtre sur rue est sorti la semaine dernière. Est-il l’album qui confirmera les incontestables promesses de Flaque de samples ?
Le 18ème arrondissement de Paris est un vivier inestimable pour le rap, et ça depuis longtemps. Hugo TSR en a probablement été le spectateur admiratif dans les nineties. Lui, qui a commencé par le graffiti, est resté profondément marqué par le son des dix glorieuses. Celui des prods à l’ancienne, avec samples de pianos, violons et films cultes. Une époque bénie, tout le monde le dit, qui n’était pas encore complètement pervertie par les arcanes du « game » et la dramatique hégémonie de Skyrock. Celle où entre deux épisodes de DBZ ou Ken le survivant, tu pouvais zapper et tomber sur les hymnes éternels de la Scred, la Rumeur, Lunatic…
Lui et ses potes comprennent rapidement qu’on ne leur ouvrira pas les portes avec le sourire. Les obscurs et éreintants sentiers de l’indépendance, et donc de la débrouille auto-produite s’offrent à eux. Voilà pourquoi quand sort A quoi ça rime ? sort en 2007, ils écument autant de cabines de radios et de scènes pour faire entendre leur gerbe d’or. Avec l’authenticité véritable de ceux qui baisent bestialement Skyrock, sous capuche et sans jamais baisser leur froc.
Rapidement Hugo est remarqué plus amplement. Le jeune MC, adepte du passage en force, allie technique et flow incisif en déversant punchlines assassines comme il aspire les sticks et les flashs de Poliakov. Avec peut-être un excès de comparaison qu’il reconnaît aujourd’hui volontiers, coupant sa frappe avec un lot de « comme » pour mieux surligner les traits du détail à venir.
On vise la lune comme Mimie Mathy dans un concours de dunks. Les bolosses stressent, l’objectif c’est la lune comme dans Apollo 13.
La rage en grosses coupures, j’attends mon heure comme une garrot éteinte.
Quand je vois dans le coin des mecs opés qui seront des flics demain, je fais ressortir mes mauvais côtés comme un obèse qui porte un slip de bain.
C’est dur de se faire comprendre comme un sourd muet avec des moufles.
Ici je suis rien, j’analyse le terrain comme un paysagiste. Même si je fais ça pour rien j’aimerais percer comme les pays d’Asie.
Autant de phases sorties certes de leur contexte, qui attestent des incontestables talents d’écriture du parisien, mais qui rappellent aussi à tous que la punchline à terme ne suffirait plus pour se démarquer. On attend Hugo sur de gros thèmes. Celui qui reste un gosse, même si la tise a remplacé les friandises, en a sous le capot. Lui qui survole et kicke chaque prod comme s’il cavalait à la poursuite d’un temps révolu, ouvre aujourd’hui sa fenêtre pour rassasier sa Génération Shit et Grec-Frites.
Hugo a évolué, mais n’a pas vraiment changé. Il se casse encore le crâne (Coma Artificiel), et sa technique est toujours aussi implacable, faisant la part belle aux séances d’ugotrip dont il a le secret. Il a confié l’élaboration de certaines prods à des pointures comme Char (Le Gouffre), I.N.C.H, ou l’aujourd’hui extrêmement demandé toulousain Al’Tarba. Il a élagué ses éternelles comparaisons à l’essentiel et continuent d’arpenter les rues de son 18ème. Car au dela des poussées d’ego trip et de l’apologie de produits anesthésiques (qui rendent certains stupéfaits) qui lui vont très bien, il enfonce quelques portes déjà entrouvertes par d’autres, et ne renouvelle pas certains discours (Alors dites pas, Dégradation et un peu sur l’excellent Eldorado). Avant tout parce que l’état d’urgence est intact, et que l’actualité sociale et politique ne se modifie pas, si ce n’est dans le sens le plus nauséabond. Hugo n’invente rien, il expose son quotidien fait d’anecdotes et de chroniques d’une violence devenue ordinaire.
Là où on rencontre les abeilles même plus nocturnes du Square Léon, pour ensuite rejoindre la rue Myrha (sa mosquée à ciel ouvert et ses putes plus très fraîches) et les bancs de la Place Dalida. Le bas de la Butte, pas celui des cartes postales et des bobos de paname fans de noctambulisme exotique. Le 18ème qui sait qu’après le RSA, les toxs quittent Espoir Goutte d’Or (EGO) pour rejoindre le Sleep In de l’étroite rue Pajol, et faire danser briquets et pompes au chaud. Le paysage est dévoilé avec brio, les étrangers au quartier auront donc droit à une belle tranche d’authenticité, cousue d’images et de spectacles bien choisis. Le 18ème, un grand gars qu’ a de l’appétit. Belek, si t’entends clic-clac, c’est pas le bruit d’un canapé lit !
(Les puristes apprécieront. Les petits bourgeois aussi (même si cet album n’est pas fait pour eux). Parce qu’ils n’auront pas à faire le déplacement, à cotoyer ces vandales qu’ils ne connaissent que virtuellement (parce qu’ils expriment mieux que tout autre chose le nihilisme de leur existence confortable). C’est à toi petit bouffon(ne) sous perfusion parentale que je parle, toi qui apprécie le rap mais qui ne supporte en réalité les noirs que sous tes draps, coiffés de madras et avec des bananes autour de la taille. Toi, qui ne comprendra jamais rien au capitalisme du pauvre. On appelle ça le socialisme exotique 2.0.)
Des titres comme Fenêtre sur rue (concept de morceau jamais utilisé je crois), La ligne verte, Eldorado ou Old Boy ont déjà tout pour devenir des classiques, et sont pour moi les pierres angulaires de l’album. On peut aussi leur ajouter Intact (à l’instru pourtant aussi sautillante que surprenante) avec Vin7 et Anraye du TSR Crew , dans ce qu’il a de plus désinvolte et insouciant, rappelant encore un peu plus l’époque des nineties et renforçant sur ce coup là en tous cas : les comparaisons vis à vis d’un autre groupe natif du 18ème (rarement dans la tendance et souvent dans la bonne direction). Citons donc aussi le dévastateur Piège à loup déjà sorti en maxi cette année, qui trouve sur l’album une seconde jeunesse en contrastant vivement la teinte générale de l’album.
Je peux pas dire que y’a rien à faire, mais petit frère est fier de vendre du crack
Veut prendre du cash, pour flamber tout l’été à Fuerteventura
Des putes qui friment, du shit, des clopes en duty free
Des cocktails de fouleks camouflées dans des bouteilles de multifuits
Hugo n’a jamais confondu collaboration, proxénétsime ou prostitution. Pas de featuring qui va bien, placé ici pour attirer le strass et les paillettes. Même si on regrettera peut-être, vu la complémenatrité qui les unit depuis toujours, l’absence d’un vrai 36 mesures partagé avec Davodka. Avec son art de faire cohabiter samples d’esthètes et/ou issus de films cultes (même l’interlude avec la capture d’un mythique extrait du Créateur de Dupontel), verve de vandale propice aux envies de dégradations « slogannisées on the walls », il signe ici un des dix abums majeurs de rap français en 2012.
Ils m’ont tous bavé dessus, ya que mon médecin que j’ai pas déçu. Cette nuit le stylo pleure, quelques larmes coupées au dégoût. Vous savez quoi, allez tous vous faire foutre !