Aussi étrange que cela puisse paraître, les musiques dites expérimentales se sont démocratisées ces dernières années. Par besoin d’abstraction sans doute, par mode aussi, incontestablement. Mais surtout parce qu’à travers le monde, une génération s’est élevée pour briser les codes poussiéreux et enfoncer les portes des galeries d’arts plus ou moins contemporains. L’ère est au Do It Yourself, les beauzarteux jouent les keupons armés de setups modulaires.
Les scandinaves de Posh Isolation sont, sans l’avoir vraiment voulu au départ, les fers de lance de ce courant musical. Certains anciens amateurs de musiques électroniques plus classiques réclament le droit de s’encanailler dans la souillure industrielle, dans des sentiers moins proprets que ceux de la deep house (lolance), plus spontanés et moins intellos que ceux qui mènent non loin de l’IRCAM et du GRM.
Des artistes n’ont pas encore connu l’adoubement de cette bourgeoisie relative, et continuent de graviter dans les bas-fonds d’Europe de l’Est, dans les caves et squats de New-York. Rene Nuñez (aka Horoscope) fait partie de ceux-là. Enfant de la diaspora cubaine et punk résident de Miami, il est une de ces petites mains qui forge l’underground de l’Underground. Je n’avais pour ma part jamais entendu parlé de lui avant Misogyny Stone, même s’il écume les scènes locales américaines depuis longtemps, a déjà sorti deux albums et a fricoté avec le label Ascetic House, considéré par beaucoup, toutes proportions gardées, par l’équivalent de Posh Isolation aux Etats-Unis. Son nouvel album est sorti il y a quelques semaines sur le bien nommé Wharf Cat Records, basé à New-York.
Le titre du disque, et à fortiori son concept, ont de quoi laisser perplexe. Horoscope ne donne que très peu d’éléments de réponse, même s’il avoue avoir été élevé uniquement par des femmes, très loin du système très patriarcal et machiste qu’on colle souvent à la communauté cubaine. Et que donc, par définition, il serait un enfant du féminisme. Mouais.
Comme à l’accoutumée, il est tout a fait autorisé d’émanciper un disque de son concept sans pour autant moins l’apprécier.
Misogyny Stone est un cri primal, une tempête sous un scalp. Un de ces albums catharsis aux sutures faites de gravier et de verres pilés. Un disque où l’on devine le sang, la sueur et les larmes. Les audiophiles patentés sont ici invités à passer leur chemin, ou à enjamber les cadavres de leurs certitudes.
On devine tout au long du disque qu’Horoscope est avant tout un artiste de live, un improvisateur, qui ne s’embarrasse pas des détails chers aux ingénieurs du mastering. J’en veux pour preuve toutes ces fréquences boursoufflées et dissonantes, ces basses que même un système son de pachyderme ne pourrait correctement encaisser. Ce besoin de casser les équilibres dans les forces de l’aléatoire, ce recours permanent au très en vogue modulaire. Absolument tout ce qui me fait bondir habituellement.
Nombreux seront ceux à passer complètement à côté de ce disque. Mais pour les quelques autres, il pourrait devenir un onguent particulièrement addictif. Parce qu’Horoscope fait partie de ces rares trépanés capables de transposer parfaitement leur folie dans leur son. A trouver une forme de sagesse formelle dans les caresses du chaos. Rassembler un esprit riche à partir de ses propres fragments laminés. En ceci, Azabache Necklace Bought To Protect My Daughter dégage une incroyable arme de paix, avant que New Piece ne prépare les souhaitables conflits à venir.
Misogyny Stone est donc pour moi un peu plus qu’une noble digression nihiliste. Juste un album de chevet. Une dépendance dont je serais la volontaire proie. Hosanna hosanna, et en route pour la joie.