Souffrant manifestement d’une psychose infantile conséquente, Nick fait l’objet d’un entretien psy malmenant, en vue d’un accueil en institution. Son frère, Connie, va saboter l’entrevue et entraîner son frère déficient dans un braquage foireux. Bien qu’irresponsable, Nick est incarcéré au tristement connu pénitencier de Rikers Island. Bien décidé à l’en sortir par tous les moyens, Connie va se faire avaler par une nuit de fuite et de rencontres hallucinantes à travers les artères purulentes du Queens, quartier de prédilection des Safdie Bros depuis leurs débuts de metteurs en scène à quatre mains.
Caméra tremblante à l’épaule, éclairage fluo/phosphorescent, plans serrés sur les visages et direction photographique lo-fi : autant d’éléments qui pourraient valider l’agrément à la dictature du faussement cool imposée par le renouveau du cinéma indé DIY. Annoncé comme la consécration des frères Safdie, Good Time ne serait-il pas au fond qu’un énième vulgaire film de festival, prompt à faire transpirer une bourgeoisie toujours encline à succomber à l’exotisme prolétaire des losers magnifiques ? Sans caricature, c’est effectivement une grille de lecture à prendre en compte. Fort heureusement, le film en comporte bien d’autres, Good Time étant bien plus roublard que l’improvisation généralisée à laquelle il fait semblant de s’astreindre.
A bien des égards, Good Time est un film horripilant. Parce qu’il aurait pu être un chef d’oeuvre, et que certaines fulgurances planquées sous sa crasse le situent toujours à mi-chemin entre la pathétique pantalonnade et l’ovni remarquable.
Good Time a la bonne idée de ne pas être un film politique et social. Il ne cherche pas d’excuses à ses personnages, ne leur offre aucune perspective de résilience et pire encore, ne fait rien pour qu’on s’y attache. Good Time n’illustre pas la marginalité comme une sortie de route, mais comme un chemin chaotique en soi. Connie, encore plus que Crystal ou Ray, n’est pas le prisonnier de sa condition. Pour la simple et bonne raison qu’il ne s’en est jamais imaginé une autre. Il a sans doute un substrat de tendresse pour son frère, mais l’utilise surtout comme une caution à sa dérive, sans jamais imaginer que sa guidance puisse avoir le moindre impact sur son autisme. Très subtilement, le film pose d’ailleurs plutôt bien la sensible question de l’interdépendance fraternelle. Dans le cas précis de Nick et Connie, la réponse apparaîtra au fond plus cruelle que surprenante un peu avant la fin du film.
Si l’existence sociale de Nick est indissociable de son statut pathologique, Connie n’est quant à lui pas l’ombre d’une victime, d’un sociopathe, d’un polytoxicomane ou même d’un délinquant. Il est bien plus que tout ça. La moindre de ses actions crapuleuses n’a au fond jamais vocation à le sortir des torrents de merde dans lesquels il survit. Parce qu’il y a des repères, et ce mode de vie lui permet de s’adonner à son addiction principale et plus ou moins inconsciente : l’état d’urgence permanent dopé à l’adrénaline.
En ceci, l’hyper réalisme prôné par les frères Safdie est juste brillant, parce qu’ils ont compris que, aussi toxique soit-il, les naufragés de l’asphalte sont surtout dépendants à leur environnement, et que c’est lorsqu’ils ne s’y agitent pas que survient pour eux l’effondrement.
Good Time est à l’image de Connie, son personnage principal. Il n’a pas le temps de construire quoi que ce soit de proprement élaboré. Le parti pris de ne filmer ses protagonistes de plein pieds (certaines prises en hauteur sont assez remarquables) uniquement lors de leurs moments de fuite prend alors un sens symbolique particulièrement approprié, leurs visages étant les seuls vestiges de ce qui pourrait témoigner d’un fil émotionnel narratif. Pour sortir un peu du gonzo, modifier la focale au ras des pâquerettes qu’on porte sur eux. Pour ne fut-ce qu’un instant, les décoller d’un bitume sur lequel ils sont condamnés à s’écraser.
Le film est aussi, comme Connie, l’incendie volontaire de ses propres excès. Si la séquence de « la prise d’otage au parc d’attraction » est doté de certains effets jubilatoires, il y a un moment où la surenchère du glauque est surpassée par quelque chose de bien plus grave pour un film avec de pareilles ambitions. L’écueil classique de la visite guidée pour qui se veut hyper-réaliste : cette putain d’émotion dirigée.
Good Time ne méritait pas, à grands renforts d’effet de caméra manches, d’illustrer aussi poussivement le caractère psychédélique d’une dérive psychotrope déjà sous acide. Si ce postulat adolescent peut être pardonnable, il fait en tous cas passer leurs ostensibles hommages à Sydney Lumet (Un après midi de chien) et à Martin Scorsese (Mean Streets) pour un auto-sabordage postural plus que regrettable. Mais le comble de l’horreur est ailleurs.
J’ai déjà beau considérer Oneohtrix Point Never comme coprophage et comme l’auteur de « musiques expérimentales » préféré de ceux qui n’en écoutent pas, j’ai le sentiment que le cinéma des frères Safdie me prend pour un con quand il sur-amplifie les borborygmes du résident de Brooklyn pour me souligner des moments de tension déjà parfaitement identifiables. Ces attentats musicaux attribuent au film un coté clipesque (seul le titre réalisé avec Iggy Pop est doté d’incontestables qualités, et illustre parfaitement la scène finale), faussement chic et déjà vu plein de fois, que même Kourtrajmé à l’époque du Stress de Justice n’aurait pas eu la bêtise de commettre. Good Time est donc bien comme Connie, avant tout dépendant à ses propres symptômes décrits plus haut. Sauf qu’on est là quand même pas loin de la faute de goût éliminatoire…
Good Time est donc pour moi une dérive totale, à l’image de son personnage principal, cousue de fulgurances et de pathétisme. Malgré une mise en scène faussement improvisée mais définitivement en roue libre, il peut néanmoins compter sur l’interprétation inattaquable de tous ses protagonistes. On saluera plus particulièrement la prestation littéralement habitée de Robert Pattinson, qui après avoir partiellement sauvé des films surcotés (Metropolis) ou insignifiants (Lost City Of Z), démontre une nouvelle fois ses incontestables talents d’acteur dramatique et prouve qu’on peut passer du mainstream à l’indépendance en toute street crédibilité, même quand on vient du Londres chic. Ses choix de carrière rappellent un autre monument qu’on avait lui aussi trop rapidement cantonné à sa belle gueule et à la lissitude de ses bluettes de jeunesse : un certain Leonardo Di Caprio.
Pour ajouter au côté « clipesque » insupportable, soulignons l’éclairage et la couleur qui n’ont globalement ni queue ni tête lors des scènes nocturnes (en dehors de la séquence dans le parc d’abstractions). Néons rouges et verts dans l’appartement de la grand-mère, oui, bien sûr. Juste un gros prétexte à l’esthétique poussive, qui est comme tu le dis, est une faute de goût bien trop commise depuis quelques années.