Même s’ils officient dans des registres légèrement différents, Opal Tapes est aux cotés d’enseignes telles L.I.E.S ou Posh Isolation (le rayonnement de cette dernière n’est pas encore comparable aux deux autres) : de ces crémeries devenues références, que nul n’avait vu venir il y a guère plus de cinq ans. Dans le cas précis d’Opal Tapes (ça vaut aussi pour les autres), exposons sans risque l’hypothèse que sa tête pensante (Stephen Bishop, Basic House) a très bien compris que se réclamer du mouvement techno à notre ère était indissociable d’un rattachement pur et simple à l’hybridation. Il n’est donc pas rare de trouver dans ses productions un peu plus que des effluves ambient, industrielles et/ou electronica, avec en plus, en fil conducteur, une volonté claire d’expérimenter réellement sans vouloir séduire uniquement les autistes de l’abscons. Seul bémol, et encore, il est éminemment subjectif, sans verser dans ma litanie habituelle contre le revival des bandes magnétiques, je trouve que leur sympathie chronique pour le support cassette a de quoi poser questions. Encore plus quand on sait que replacer ce format dans un contexte économique difficile ne vaut pas pour les labels qui font « sold out » à la moindre sortie…
Gondwana n’est autre que Andrea Taeggi, moitié du duo Lumisokea avec l’excellentissime Koenraad Ecker (même si sa très récente sortie chez LINE a déçu l’ensemble de notre « rédaction »), et donc déjà bien connu des rangs d’Opal Tapes. AUM, son premier album, réalise la performance du cumul des mandats en s’inscrivant parfaitement dans « la ligne » du catalogue exposée plus haut, tout en se révélant particulièrement surprenant.
Maîtriser les codes, tout en s’affranchissant des stéréotypes. Voilà une jolie phrase potentiellement pleine de vide si on se contente de la coller sur un T-shirt. Toujours est-il qu’elle sied parfaitement à la direction artistique de cet album puisque Gondwana n’a pas cédé au facile maelström des genres. Il a fait de son album une construction animée cousue de figures fractales, où aucun des éléments n’apparaît de manière gratuite. Les émanations ambient sombrissimes, le contraste appliqué des fréquences tantôt graissées tantôt purement abrasives, servent parfaitement la volonté de maintenir ce délicieux sentiment d’hybridantion/mutation permanente dans un album qui n’a à aucun moment la volonté de briller par son beatwork.
De par ses mécanismes grinçants et certaines déflagrations putrides, AUM instaurera majoritairement un climat dérangeant chez les non initiés à certaines oppressions sonores. Pourtant, et c’est à mon sens ce qui rend cet album si remarquable, de cristallines embardées mélodiques trouvent une place de premier choix dans ses plans. La parcimonie, la nuance et à fortiori la rareté, ont le don de souligner (sublimer) certains traits sporadiques. Voici pourquoi, même si leur placement dans le tracklist peut se discuter, Bootstrapping et Right Brainer sont des morceaux détonants.
Fait plus dommageable, même si ça dépend pour qui, l’excellent Belief Based Blindness et son rap instrumental aux circuits industriels infectés, est exclu de la version vinyle. Vous serez, je n’en doute pas, satisfaits de le retrouver en écoute aux côtés du bandcamp habituel. AUM sort en vinyl et c’est une des meilleures sorties du catalogue Opal Tapes. Réjouissons nous, seuls ou en duo, les membres de Lumisokea perpétuent une certaine idée de l’excellence.