« [D]ans [une] ville propagande, [tenir en échec un] récit de marbre et de béton… »
Certains albums peuvent prendre l’allure de bandes-son qui n’en sont au départ aucunement. Lorsqu’ils naissent sous les mains d’artistes pétris de dubstep puissant et autres compressions industrielles, ils suggèrent assez rapidement la guerre ouverte. Une action tout autant angoissante que destructrice. Mais plus lointainement, ils peuvent évoquer des paysages dystopiques quasi-désertiques. Il n’y a dès lors, point d’exaltation morbide mais une angoisse profonde et latente. La perspective de la menace non véritablement révélée. À cet exercice, Dust Debris/Loused & Fond offre une prestation véritablement intéressante. Il réunit deux artistes dont l’inspiration dialogue lorsque leur chemin se fait parallèle. Quand Genghis travaille de manière extrêmement léchée ses textures, C_C les met en œuvre dans une construction plus brute. Et pourtant ils se répondent parfaitement : une même école. C’est le pari logique qu’ont souhaité DJ Scotched Egg et DJ Die Soon en réunissant ainsi les représentants respectifs des labels germano-britannique et français, Small but Hard et ThirdTypeTapes, d’autant que les passerelles et collaborations sont nombreuses entre les deux structures.
Le Japonais, membre du projet Devilman, développe la même ligne directrice tout en créant son univers personnel. Il ouvre ce split par deux morceaux qui installent une tension palpable. La saturation est extrêmement présente mais se voit atténuée par des nappes mélodiques plus légères. Le trait qui s’installe durablement, l’aliénation. Imaginons dès lors déambuler dans la némésis de la ville Alpha. Ces dernières, ces villes-Monde hyper-connectées et ouvrieuses, lot commun du XXIème siècle, n’ont qu’une seule et dernière antithèse maîtresse à l’échelle des villes de commandement : Pyongyang. La ville-nuit, la ville vide, la ville propagande. Si l’usage du béton n’est pas l’apanage des régimes totalitaires, ils en ont conçu une exaltation peu commune qui, rapportée au régime politique, l’érige en aboutissement ultime de la domination du politique sur le social. C’est avec « Spiral » que cette torsion se fait palpable, évoquant d’ailleurs un croisement entre Sturqen et Asolaar. Construit sur des boucles répétitives, il inscrit comme un signal aliénant la présence d’une sirène étouffée. Imprimer la crainte est l’enjeu. « Insomnia » rappelle immanquablement la peur lancinante provoquée par les compositions d’un Shapednoise auxquelles aurait collaboré Mai Mai Mai. Dans une ode à la revisitation industrielle d’une bande-son carpentérienne. À ce stade, on regrette le cut brutal final qui ne rend pas justice à l’ambiance déployée. Et les basses dub et lourdes de s’égrainer jusqu’à « Obscurity in Sand ». Ce dernier morceau fait gagner l’ensemble en complexité mais également en légèreté grâce à l’apparition de rythmiques tribales, sons de cloche et autres voix incantatoires. Comme si la grâce folklorique et poétique des films de Sergueï Parajanov tels que « Les chevaux de feu » ou « La couleur de la grenade » venait contredire la toute-puissance de l’État. Une transe subtile s’installe ainsi, qui n’efface pas pourtant pas l’oppression. À l’instar du réalisateur soviétique, l’humain demeure toujours un prisonnier politique de l’environnement totalitaire.
C_C prend alors le relais en imposant une brutalité qui confine à un assaut contre-architectural. Majoritairement, l’inspiration pourrait se situer à la confluence entre Vex’d et Orphx. Certes, « cloz » démarre sur des sonorités saturées s’ouvrant et se fermant qui distillent à nouveau la menace par une distorsion calme mais angoissante. Mais c’est avec « PulsAtioN » qu’est réintroduite une structure rythmique efficace. L’aspect statique imposé par un stalinisme omniprésent est battu en brèche. Échapper à la pression devient indispensable. Utilisateur du 4 pistes cassette comme base de production, il en décline toutes les possibilités en usant de pédales d’effets et feedbacks internes. L’hégémonie se réinstalle pourtant avec « 09-0914_bis » travaillant notamment sur les panoramiques. « 1&3&2 reduced » relance une dynamique salutaire qui s’achève en apothéose dubstep avec le morceau final « Aeten RP ».
Autant Genghis a composé en grande partie ses morceaux à destination de ce split, autant C_C a effectué un collage de compositions éparses à cette intention. Il ressort pourtant de l’ensemble une réelle accointance entre les deux voies suivies. Toutefois, la cohérence dans la construction de l’album demeure assez aléatoire. Malgré ces défauts, une belle énergie s’en dégage. Qu’il serait amusant de songer que les édifications musicales seraient en mesure de concurrencer les édifices tyranniques. Qu’il est plaisant d’imaginer l’impalpable détruisant la masse, par pure contradiction. La déformation sonore peut-elle entraîner le retrait plastique du béton par la seule énergie qu’elle dégage ?