« [fri:z] fait référence au freeze informatique et à son équivalent mental, lorsque le cerveau interrompt momentanément la marche du temps et que nous ne sommes plus que sensations, comme figés, complètement immergés dans ce que nous vivons. » (Gaëtan Gromer)
S’il s’agit de sa première véritable sortie physique, le français Gaëtan Gromer n’en est pas moins actif depuis plusieurs années dans le vaste champ de la création sonore, au travers de différentes performances lives, installations ou multiples collaborations. Mêlant les disciplines artistiques, fortement marqué par l’interaction et l’interdisciplinarité, l’ensemble de ses travaux fait ainsi preuve d’une grande richesse.
« Tu poursuis, silhouette fantôme, ton chemin à travers ce rêve propre, cet inconscient policé, double impossible de la ville-du-dessus. » Avec en regard les textes de Léo Henry, le disque s’articule en quatre longues pistes portant avec elles leur propre vécu, lieu – du Népal au Kirghizstan en passant par la Bulgarie et le Canada –, et surtout, leur lot de sensations acérées. Prenant pour point de départ des captures de sons venant des lieux mentionnés, les enregistrements ont ensuite été traités, dissous, éclatés par le biais de l’électronique.
Les sonorités se métamorphosent, échangent une modulation pour une autre, impriment un léger changement de rythme ou de fréquence. C’est un bruit parasite qui vient s’agglomérer au flux sonore, une fluctuation qui s’opère, un décalage qui intervient. Allant parfois jusqu’à une quinzaine de minutes, les morceaux déroulent tour à tour des narrations passionnantes, jouant de la répétition et d’une infinie progression.
Sans tomber dans l’éparpillement, [fri:z] s’impose par son immense richesse de textures et ses constructions rythmiques immersives, toujours reliées par le fil d’un processus mental affûté sur les impressions physiques. A cela s’ajoute la grande justesse et précision dans la mise en reliefs des différentes sources, et le remarquable travail de mastering réalisé par Arco Trauma.
Un disque où le temps est repoussé dans les marges du réel, au profit d’un envahissement absolu par les perceptions physiques. Happé et englué dans un enchaînement sonore complexe, le corps se cristallise sur le ressenti. Le reste en est suspendu. La cartographie esquissée par les morceaux devient ainsi une géographie rêvée, où les lignes de fuite finissent par se confondre avec un chemin en pente sur l’intérieur.