Depuis les premières heures de Chroniques Electroniques, musicalement, je me suis toujours considéré comme fidèle à tout, tant que je n’avais pas trouvé mieux. Voici pourquoi, sans les avoir renier, certains artistes me semblent aujourd’hui subjectivement sur-évalués ou obsolètes. Frank Riggio fait partie de ceux vers qui je reviens, inlassablement, dès l’annonce d’un nouveau projet. Pourtant, à l’heure du tout connecté et de la dictature de l’actualité, pour un artiste qui gravite tant bien que mal dans les sentiers de l’indépendance, trois ans de non-production c’est foutrement long. Peut-être encore plus pour un beatmaker qui, comme c’est le cas dans le sérail des Mc’s, disons le sans lui porter ombrage, a connu une période de mimétisme (certains parleront d’inspiration profonde) très importante. Le laborantin du sud-ouest n’a jamais caché sa passion pour l’homme que l’on nomme Amon Tobin, même dans les moments où c’était un peu moins à la mode de s’en targuer. La technique, la maîtrise allouée et la créativité étaient là depuis toujours, on attendait juste qu’il surine le père ou plus pacifiquement, qu’il coupe le cordon. Le premier volume de sa trilogie Psychexcess, Presentism (ici), avait posé les bases d’une certaine forme de renouveau sonore associée à une ambition plus que casse-gueule. Le deuxième volume aujourd’hui présenté, Futurism, est riche d’enseignements et de mises à jour pour constater où en est son niveau.
Même si ces précisions convenues sont définitivement à bannir de toutes chroniques musicales qui tendent à se respecter, disons que ce deuxième tome est cohérent et dans la continuité vis à vis de son prédécesseur. J’entends par là que le caractère profond du disque demeure oscillant entre le fantastique et la terreur, que la teinte globale est toujours autant saturée des angoisses du monde moderne. Encore plus lorsqu’on y décèle aisément toute la bienveillance du père qui aspire à un environnement apaisé pour sa fille (les clins d’oeil à l’enfant sont ici encore nombreux).
Quid de l’évolution ? Riggio a atteint un niveau de connaissance de ses armes époustouflant. Là où certains sound designers s’évertuent à jouer les petits princes du cheesy clap et de la snare frelatée pour témoigner du fait qu’ils ont eux aussi la capacité de visionner un tutoriel, d’autres travaillent, savent que la démonstration technique n’est admirablement pérenne que si elle se situe dans une démarche résolument artistique. Chez Riggio, celle-ci est devenue au service d’une narration, d’une imagination aussi tortueuse qu’elle est versatile. J’en veux pour preuve certains de ses titres, moins pertinents dans mon esgourde car trop ronflants ou initiant des amorces technoides, où il parvient néanmoins à faire preuve d’un mapping d’orfèvre ou à y insérer une morphing bass venue d’un autre monde. Et ça, toujours pour rendre hommage au morceau et à fortiori à tout l’ensemble du projet. Tout ça pour dire que même parfois moins séduit, l’auditeur restera captivé par le propos.
D’autres titres, tels the epicness stupidity…, tttt, venusian philosopher (future vision) ou infinie galaxie III, pour ne citer qu’eux, ont fait sauter des verroux jusqu’alors moins souples en terme de textures et de pure composition. Certaines mauvaises langues diront que le plein renoncement au sampling est encore loin. Toujours est-il que the epicness stupidity… est d’une fraîcheur renversante, quasi-tubesque, touché par un sens de la prod’ hallucinant, et n’a absolument rien à envier à des « confrères » autrement plus exposés et adulés par les masses.
Rythmiquement, dans les textures et dans le traitement des cordes, l’ensemble est pire que carré. Pour parfaire une intégrité dont on avait jamais douté, Riggio s’est livré à un travail de mastering jamais vulgaire ou ostentatoire, a su sublimé les dynamiques sans céder aux tentations courantes des fêtes foraines généralisées. Tu vas voir que certains footix vont le regretter…
Fresque propice aux divagations dans les dédales luxuriants et obscurs de l’âme, aux digressions cauchemardesques dans des cuves rassurantes de placenta, Futurism témoigne du fait aujourd’hui établi que Frank Riggio est aujourd’hui bien trop haut pour l’indé (et pour Hymen à fortiori, avec respect et tutti quanti) et n’a plus rien à envier aux pontes consacrées. Toute référence à ce branleur de Flying Lotus n’est pas complètement fortuite, mais tu l’avais deviné.