Voilà quelques temps que le franco-sicilien Frank Riggio voulait donner un nouvel élan à sa musique. Après des releases hybrides et abstract hip-hop en free download, très inspirées par sa passion pour Amon Tobin, il sortait l’année dernière un double EP (Texturtion Distosolista) plus que prometteur. Sa technique globale avait franchi un levier supérieur, annonçant peu à peu une distance vis à vis du sampling. Seulement voilà, Frank Riggio est un homme qui doute. On a rarement vu (dans ces sphères musicales) un homme donner autant d’enjeu dans sa vie à la conception musicale. Après des flirts bien poussés avec deux des plus reconnus labels du genre, la conclusion est finalement sans appel. La musique du sudiste serait trop atypique et pas encore assez mûre pour figurer au catalogue de ces deux maisons renommées. Entre prises de têtes et profondes remises en question, Riggio ne renonce pourtant pas. La rencontre virtuelle avec Stefan Alt , patron de chez Hymen, sera salvatrice, lui qui a un véritable coup de coeur pour son univers. Pressentism est le premier volet de la trilogie Psychexcess, dont la vocation est d’illustrer les trajectoires inconscientes de cette machine complexe qu’est l’inconscient et son moteur : le cerveau. Ceci est assez évident à la vue de l’artwork, nouvelle réussite du graphiste Shift que certains connaissent mieux sous son nom de Timothée Mathelin.
Dès les premières minutes de l’album, on se dit que les tracks présents sur le dernier double EP n’étaient presque que des chutes, des brouillons du véritable investissement personnel et donc mental à venir. Il a ici laissé de côté sa classique volonté d’être à tout prix dans la démonstration de ce qu’il sait faire, et de ce qu’il a appris. Parce qu’il a probablement encore plus à prouver à lui-même qu’aux autres, il a décidé de mettre ses doutes, ses angoisses, ses questions de musicien et de père au centre de sa musique. Inutile de rajouter qu’il y a mis aussi ses couilles de mec, pour donner encore plus d’ampleur à la dimension personnelle de l’oeuvre. Précisons que c’est le visage de sa fille qui surplombe cet artwork définitivement torturé. La musique et cet enfant, ou les deux plus grandes passions de sa vie, sont illustrées ici en ce qui pourrait être le sujet d’une psychanalyse au long cours.
Beaucoup d’éléments surprennent et impressionnent dès les premières écoutes. Cet aspect ultra affiné et ultra texturé qui trahit des heures et et des heures de travail en studio (en même temps, ça fait trois ans que cette trilogie lui hante l’esprit). Le quasi renoncement de l’utilisation des samples (il y en a encore quelques uns, et utilisés dans de sacrés séquences). L’intégration de cordes et de crins non digitales (Pressentism, Higher Ailleurs). Une étrange, rythmique et cavalière dimension tribale. Et même si de très bons titres comme Big Tunnel Recordist, Flowing Magma sont empreints de résidus hip-hop mutants de ses débuts, c’est bien cette véritable palette de sound designer qui bluffe le plus. Comme sur les très Hecquiens dans le style et l’approche Venusian Philosopher ou Fractal D. Ou encore le cryptique Kranqr et son piano aussi humble que subtil. Signalons aussi le spatial et synthétique Infinie Galaxie II, dont les tribulations et l’issue surprenante viennent rompre avec les schémas de canevas classiques. A aucun moment malgré l’incontestable richesse de l’espace sonore, il n’y a de sensation de surcharge. Riggio est vraiment un mec old-school, puisqu’il intègre même une fin masquée à son V I S L A R M final. Mais ne vous y trompez pas, il a su combiner ses nouvelles velléités artistiques et techniques avec son utilisation régulière des synthés hardware et sa maîtrise de Cubase. Bien que pharaonique, l’oeuvre est intelligente dans son tracklisting et dans le maintien du dédale psychédélique souhaité et transformé.
Les recommandations de gens comme Access To Arasaka ou Hecq ont fini par payer. Frank Riggio peut être fier de lui. Sa musique a atteint des sommets de qualité et de confiance en elle même. Hymen a eu le nez fin, contrairement à d’autres à mon humble avis, signant dès le début d’année une oeuvre époustouflante. Bravo à tout ce petit monde.