Là où on oublie les autres en se demandant un peu s’ils ont réellement existé (Dorian Concept, Free the Robots, etc), Flying Lotus, désormais à des années lumière de ce qu’on avait tenté de baptiser glitch/liquid hip-hop, continue de truster l’actualité. Artistiquement, bien sûr, mais aussi à la tête du désormais reconnu label Brainfeeder. On peut même faire de lui un symbole, tant il est parvenu à hisser son art là où beaucoup s’éclatent les figues sans maîtriser le grand écart : entre l’underground et le mainstream. Qui aurait pu croire à l’époque de 1984 ou de Los Angeles, que cet obscur neveu d’Alice Coltrane produise un album de Mr. Oizo et invite Thom Yorke ou Snoop Dogg à poser sur ses productions ? Pas grand monde assurément. Car quoi qu’on en dise ou pense, il faut une sacrée dose de talent pour parvenir à pareille « synthèse », où tout ne repose pas uniquement sur le sampling. Néanmoins, même si son talent est aujourd’hui plus que jamais incontestable, ses albums et son travail au sens large illustrent quelque chose de beaucoup plus nuancé, voire plus triste en réalité.
Depuis Cosmogramma, je ne sais trop pourquoi je m’évertue à écouter les disques de Flying Lotus. Peut-être parce qu’à tort, j’attends encore qu’il me surprenne, parce qu’avec le talent qui est le sien et les moyens qui sont mis à sa disposition, il pourrait être l’artisan du concept rarissime « c’est tellement mieux maintenant ». Parce que je voudrais qu’il se montre plus radical, plus puriste aussi. Qu’il arrête de composer des morceaux qui ne seraient pas grand chose sans les clips qui leur sont associés, là où des mecs comme Thom Yorke, Snoop, Erikah Badu ou Kendrick Lamar n’ont au fond absolument rien à foutre, sinon faire « smart & open minded » comme quand on expose ses invités connus à une soirée pas assez branchouille. En fait, je crois que j’attends juste qu’il devienne cet héritier de Herbie Hancock, celui qu’on a toujours soupçonné mais qui ne s’est jamais révélé. Tu vas me dire ça tombe bien, le deuxième et quatorzième titre du disque, Tesla et le splendide Moment of Hesitation, sont un peu plus que des hommages puisque Herbie y est crédité aux claviers.
19 titres. 38 minutes. Déjà ça commence mal sur le papier, puisque j’avais déjà reproché à Until the Quiet Comes son empilement de formats courts fourmillant certes de bonnes idées, mais où il n’avait pas le temps de suffisamment les pousser pour les rendre réellement pertinentes. Et pourtant, l’enchaînement de départ Theme/Tesla est absolument excellent. On sent qu’il a su s’entourer, que quand Thundercat ferme sa gueule et garde ses doigts à l’abri des consoles et des potards, bah il joue quand même vachement bien de la basse. Là, on peut légitimement penser que la dérive psyché va glisser, que ça va tenir la route sur un album en entier. Mais ensuite, à peine impressionnés par le saxophone de Kamasi Washington étouffé par des claviers bien trop criards, voilà que déboule un de ces fameux titres juste bons à servir de « single » à la con. Never Catch Me. L’instru est tout sauf mauvaise, touchée par cette même et constante luxuriance instrumentale extrêmement bien produite. Mais Kendrick perd pieds, ou mieux, disparaît dès que la batterie fait autre chose que simplement rouler ou cliquer. Il se fatigue très vite, et nous aussi. Normal, le titre n’a probablement pas été conçu pour lui. T’auras quand même le droit de te taper le clip en fin de chronique. Next, et vite.
Direct derrière, Dead’s Man Tetris, démonstration très bien faite mais résolument indigeste de « future jazz » aux accents wobblisants, où Ellison saisit sa casquette la moins éloquente : celle de MC/chanteur. Là c’est pareil qu’au dessus, le couplet de Snoop Dogg fait son ptit effet. Mais pas plus d’une minute. Si on ajoute à celà la batterie assommante de la première partie de Turkey Dog Coma (la deuxième eut été excellente sans les voix, grâce aux très beaux arrangements de cordes), y a de quoi flinguer au moins l’écoute des trois pistes suivantes, encore plus quand on y retrouve les voix sirupeuses au possible de Thundercat et des chanteuses/choristes des albums précédents.
L’oreille se fera donc plus distraite (le mot est faible) jusqu’à un toujours trop court Ready Err Not, perdu dans l’espace et le temps, vaguement 8-bit mais joliment rétrofuturiste. Arrive un peu plus tard le plus beau titre du disque, Moment of Hesitation, où les batteries et les strings sonnent encore plus divinement bien qu’ailleurs, et où on est très loin de cette vulgarisation jazz qu’on pouvait critiquer à une certaine époque. Très gros titre, qui soulignera encore mieux le total non intérêt des digressions vocales de ces détestables garçons qui meurent dans leur slip. Là l’oreille décroche, ne reviendra pas, bien aidé il est vrai par le dégoulinant mais sévèrement bien beaté final de The Protest.
A vrai dire, Flying Lotus est assez constant dans un effort qu’il ne pratique que trop peu. On retient de ce You’re Dead ! deux ou trois titres, on en oublie rapidement plusieurs qui auraient mérité qu’on s’y attarde. La faute à des pommes pourries qui gâchent toute la récolte, celles qui ne servent qu’à gonfler les egos des suiveurs des cotes youtube et des compteurs deezer ou spotify (tu sais, ces trus glorifiant la gratuité de droite). Malgré son génie et ses grands talents d’enlumineur, Fly Lo s’est une nouvelle fois perdu entre ses différentes facettes de pur producteur, de beatmaker, de mc/chanteur et de chef d’orchestre. Il est à mon sens avéré que la seule qu’il maîtrise ici réellement est la première citée. J’ai envie de le buter mais nul doute sur le fait que j’écouterai le suivant comme j’ai écouté le dernier. Rien n’est grave, Flying Lotus est bien installé dans l’époque qui le sanctifie. Il fait des disques qu’on continue de télécharger mais que l’on achète plus.