Le probablement français Monster-X et son pote Stormfield (forts de leurs quelques réalisations plus dancefloor sur des labels comme Tigerbeat6, Combat Recordings, Mutant Sniper et Bedroom Research) décident de s’unir autour d’un projet résolument downtempo mais toujours assujetti à une certaine violence : Fausten. On ne s’épanchera que très peu sur les incontestables talents de techniciens des deux lascars, sur leur probable importante culture de la scène indus/bass music et sur leur capacité à la sortir d’une très actuelle ornière kilométrique. Mentionnons aussi rapidement que la production allouée est tout ce qu’il y a de plus moderne et rafraîchissante (à l’écoute de l’album, je doute de la bien-séance du terme) pour en venir au fait : Fausten est une boucherie, le meilleur disque sorti par Ad Noiseam depuis ceux d’Oyaarss.
Réaliser une synthèse efficace de tout un pan de la sphère industrielle est un exercice compliqué, pour ne pas dire complètement risqué. La stratification rythmique rigoureuse peut tourner à l’indigeste si on l’associe bêtement à certaines fractures propres au breakcore et au dubstep viril. Fausten fait pire, il ralentit le tempo, associe à sa mixture vrillée un univers cryptique et oppressant qu’on ne rencontre la plupart du temps qu’au savoureux paradis perdu du dark ambient. L’infection se répand lentement mais sûrement, se referme comme un piège habile sur l’auditeur qui n’avait pas prévu le crescendo de violence. Les deux membres de Fausten ont puisé leur inspiration dans tout ce qu’ils aiment sans rien pomper comme des sagouins. Ils prouvent à ceux qui en doutaient encore qu’on peut faire de la musique sale en la travaillant proprement, et témoignent à la musique de leurs pulsions les plus primitives et archaïques en l’émancipant du stade anal propre à certains suiveurs bêtes et méchants de Somatic Responses.
Leur premier album est semblable à une orgie débridée dans une fosse sceptique, à un viol des sphincters en réunion sans anetshésie locale, bref, à un lendemain perplexe aux fesses sales sur un Bultex. Pour faire encore plus court : Napalm Death qui rencontre Kraken dans une garçonnière de White Chapel. Alors évidemment, que ceux qui pensaient cette fois-ci trouver le réconfort dans de l’electronica elfique ou de l’ambient dilaté passent leur chemin. Fausten taille ici le beatwork à la serpette et furmine des touffes trop fournies avec les dents. Tu voulais du subtil ? Tu peux en trouver si tu cherches bien dans ton cortex qui se vide. Mais sois sûr que c’est tout sauf ce qu’on leur demande.
Dès l’ouverture sur Portal, le beat se fait carie sur la molaire. Les mécanismes industriels sont alternés par des souffleries sans âges mais encore vivaces . Les textures, très « mâchées », contrastent avec le pragmatisme de certains bleeps qui rampent façon reptiles. C’est à partir de Punishment que les hostilités débutent vraiment, avec ce putain d’art du contre-temps, ces foutus kicks qui libèrent la vague de basses comme les vents aident à calciner les prés. Ca se gargarise comme dans un goitre thyroïdien. C’est sale, mais c’est tellement bien.
Abort, tout en vrille et en sauvages émanations de la matrice, est le titre qui m’apparaît comme le plus puissant. Celui qui te redonne le goût du sang mélangé à la poussière dans la bouche quand la cloison nasale se brise. Souffler par le nez surtout, et laissez pisser. Stahlblumen est une réponse à la hauteur de l’agression précédente. Ca sent bon la merde, le fouet qui lacère les chairs de l’esclave du jour pour mieux insérer le corps étranger. Tourner deux fois la lame dans chaque sens opposé, toujours, pour que la plaie reste accueillante à d’autres hôtes. Techniquement c’est très solide, on a pas trop l’impression de voir défiler les tutoriels de sound design modernes et les VST qui se tirent la bourre. C’est donc que c’est bien fait, pas par des apprentis bouchers.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire, après témoignage déjà très subjectif, de décrire le fond d’Evisceration. Tout est dans le titre, bien équivoque. C’est peut-être aussi celui qui me conforte dans l’idée que les deux vicieux apprécient particulièrement le jeu de batterie de Mick Harris (Scorn). Internal Dialogue ne fait pas dans le field recording intestinal même si c’est à s’y méprendre. Il réserve malgré tout une bonne dose d’oppression supplémentaire à la grippe du slip.
Vient ensuite le moment habituellement tant redouté des remixes et des versions alternatives. Bah les mecs savent s’entourer. Avec Oyaarss tout d’abord, dont on ne pourra encore que saluer tout le travail qu’il réalise sur les ambiances voraces et la quasi unique manière qu’il a de comprimer le beat : comme un foetus coincé dans un urètre. Les Dadub avaient déjà démontré plus tôt cette année tout ce qu’ils savent très bien faire. Ils donnent à Punishment et Evisceration un côté martial, tout sauf gratuitement répétitif, qui libère à nouveau les instincts de prédateur humain qu’on leur connait. J’avoue avoir eu un peu plus de mal avec l’essai d’Ontal, toujours très bien réalisé et bien sec, mais un peu trop classique et binaire à mon goût pour qu’il remporte la même adhésion. Scalpel Song viendra fermer avec un peu plus de paix la fin de cette autopsie publique, de ce déversement de violence à gorge ouverte.
Tu es membre du bureau des élèves d’une faculté de médecine légale ? Tu cherches la bande son idéale pour ta fête de fin d’année ? L’album de Fausten est fait pour toi. Et aussi pour ceux qui prennent parfois plaisir à se salir, et à faire du mal à leur prochain. (Ne vous enfuyez pas d’ici avant d’avoir vu la vidéo officielle, ça serait trop bête de perdre dès maintenant l’appétit du sévice.)