Le disque du jour est un cas d’école. Parce qu’au premier abord, il y a bien plus à dire sur le parcours de son auteur que sur son nouvel album en lui-même. Pas si sûr… nous y reviendrons.
Drew McDowall est une légende, un précurseur du post-punk et un soldat de l’indus, qui a participé à la deuxième épopée de la formation Coil (à partir du milieu des années 90) et au projet parent Psychic TV, tout en s’offrant le luxe de collaborer avec nulle autre que Genesis P-Orridge.
A peine tu lis le CV du lascar que t’as déjà mal à la tête. Bref, le quinquagénaire fringuant est aujourd’hui un modèle et un chantre de l’underground, a lui aussi posé furtivement ses valises chez Ascetic House, et sortait il y a moins d’une semaine son deuxième album sur la crémerie de Brooklyn Dais Records : Unnatural Channel.
Il y a d’ailleurs de fortes raisons de penser que l’intitulé de ce disque contient une certaine forme d’ironie. En effet, l’écossais se dressait comme un artisan du modulaire bien avant que ce ne soit cool. A une époque où le délire était même parfaitement incompris. Bien avant que cela ne devienne une mode faussement fétichiste érigée en monopole par des geeks qui se la caressent contre des fiches bananes.
Bien loin de cet aisé trollage, attestons tout à fait sérieusement que l’émulation actuelle autour du modulaire se voudrait élitiste mais donne très souvent des résultats peu probants, sans doute très amusants à composer mais la plupart du temps très chiants pour l’auditoire. Le « milieu » le sait, les récents convertis au rack DIY sont souvent les mêmes qui ne juraient que par le tout numérique et les divins softwares il n’y a pas plus d’un an. L’underground français c’est au fond un peu comme H&M, ça sait pisser dans le sens du vent.
Le lien avec le disque et l’album du jour ? C’est que l’utilisation de ce matériel par des gens comme Drew McDowall relève depuis toujours autant de l’avant-garde que de la résistance. Et que surtout, ils l’utilisaient pour exploiter à fond ses fonctionnalités d’oscillations, de filtres et d’amplifications. Des notions régaliennes trop souvent ignorées par ceux qui n’y voient aujourd’hui qu’une démarche « modeuse » analogique strictement aléatoire.
Trêve de dialectisme. Que vaut l’album de la légende ?
Il a pour commencer le don d’inscrire une forme de primitivisme de composition dans une parfaite modernité, et c’est déjà tout un art. Les deux titres d’ouverture pourraient même bien illustrer, dans une faille temporelle qui a aujourd’hui tout son sens, la genèse de la mort des musiques à guitares. Field recordings classieux, fréquences dignes de la porte des enfers, ambiances de la saint Barthélémy, frappes lentes de plombiers lettons, tout est là pour planter la funeste oraison.
Mais c’est bien à partir de This Is What It’s Like que l’écossais met définitivement le feu à l’air. Toute flatulence concurrente en matière de techno lente ne peut rien face à la puissance de ce heavy méthane. Clé de voûte du disque, le diptyque Unnatural Channel écrase l’infâme avec une assurance nonchalante admirable. Comme un putain de sabot dans l’industrie. Je ne saurais dire si c’est la force du deuil qui me monte aux yeux, mais ces douze minutes m’évoquent le chainon manquant entre/dans le travail de Mika Vainio et son side project Ø.
Pour clôturer une telle mornifle, rien de tel qu’un crachat avant-techno bien arty comme Unshielded. Priapisme et volupté dans la fange (ça faisait au moins cinq ans que je ne l’avais pas sorti).
Du coté des mentions techniques, on saluera plus particulièrement le travail parfait de Josh Eustis (Telefon Tel Aviv, Second Woman) pour ce qui est du mix.
Sans faire beaucoup de bruit Drew McDowall est venu livrer sa pistache sonique là, assis sur le rebord du monde. Posey, en train d’exterminey. Allez jeune paddawan du rack, enfile ton pyjama et dis merci à papa.