On ne fera croire à quiconque que la sortie quasi simultanée d’un nouvel album du Dale Cooper Quartet et de la troisième saison de Twin Peaks relève du hasard. Avec des fortunes diverses, nombreuses sont les formations musicales à s’inspirer directement de la série de David Lynch. Les membres du trio brestois sont des fans hardcore, mais plutôt que de tenter de ré-écrire une énième bande sonore non officielle, ils semblent préférer inscrire leur influence dans des chemins de traverse. Avec ce même goût du mystère, du faux non sens et des narrations à tiroir. Leur discographie toute entière fait preuve d’une densité de composition rarement entendue, même si j’avoue lui vouer un culte aussi relatif qu’à la filmographie du sieur Lynch. Jusqu’ici, je n’ai adhéré totalement qu’à Metamanoir. Et ce même si chacun de leurs opus contient d’incontestables pépites, à destination des nobles ombres errantes qui sévissent au crépuscule. Depuis 2010, c’est chez le label allemand Denovali que le groupe a choisi d’éditer ses pièces de menace.
Injustement enfermé par certains scribouillards du dimanche dans une cellule darkjazz qui n’est au fond qu’une énième étiquette ridicule supplémentaire, le trio français a toujours su que son univers était suffisamment nébuleux pour être déclinable à l’infini, tout en élargissant progressivement le spectre musical de ses sombres desseins. Les solis de saxophone sont toujours présents et aussi joyeusement plombants, mais les contours explorés par le groupe puisent aujourd’hui aussi bien dans le post-rock que dans le drone, l’ambient et parfois même quelques incursions encore plus électroniques.
Là où leur album précédent m’avait paru trop dépouillé et peu homogène malgré l’intarissable Brosme en Dos-vert, Astrild Astrild se révèle à mes conduits comme un sombre joyau dépourvu du moindre défaut. J’ai même cru y entendre la voix de Sylvain Chauveau. Sans doute les effets secondaires de cette expérience de divagation.
« There’s a black door waiting for your touch. There’s a black door always thank you very much. »
Astrild Astrild m’invite, de nuit, à un cabaret sauvage sur une plage du Finistère. Les personnages me paraissent familiers, mais leurs visages sont empruntés à des rapaces et à des poissons de vases. On y boit au goulot des décoctions torréfiées, noires comme les nuits sans étoiles. Chaque tableau s’épanouit dans le contre-jour, pour perdre l’auditeur dans ses propres grilles de lecture. Est-ce la confidence de l’abîme que j’entends dans ces soupirs ? Quand viendra-t-elle, la lame de fond, par dessus ce présent immobile encerclé d’un mur d’angoisses, pour l’anéantir ? A la fin du disque, j’ai eu la sensation de faire naufrage en dessous de la tempête, dans une marée haute où j’ai perdu pied. De ne pas reconnaître le marais où je suis né.
Astrild Astrild est pour moi et de très loin l’album le plus abouti du groupe. Un des plus beaux disques de cette année, pour relier tout ce que Lynch et Pessoa doivent à la nuit. L’absence du groupe sur les scènes live françaises relève néanmoins toujours autant de l’infamie.
Superbe album en effet — même si METAMANOIR garde ma préférence.
Je reste attaché à l’étiquette darkjazz, qui ne résume bien sûr pas toutes les influences du groupe, mais me semble malgré tout être l’élément le plus constitutif de leur univers — et c’est justement grâce à cette étiquette que je suis passé de Bohren & der Club of Gore à Dale Cooper Quartet.
Je reste conquis par l’album Quatorze pièces de Menace malgré tout, ceci reste un autre bijou original qui a son histoire comme les autres perles d’un même collier qui mérite d’être admiré en public. Vraiment regrettable que cet ensemble de musiciens que font Dale Cooper Quartet ne voyage pas dans la France car je serais sans doute le premier à m’immiscer devant la scène brumeuse de leur talent. Merci pour ce beau résumé.
Une très belle chronique pour un disque qui l’est tout autant, toute en complexité.
Autrement je suis tout à fait d’accord avec vous, l’absence de DC4 sur scène au sein de notre cher pays est assez incompréhensible, je n’ose pas dire anormale, la formation étant loin d’en être à son premier coup d’essai (cinq productions à ce jour en l’espace de dix ans tout de même) et est plutôt reconnu au niveau critique.