Je vais être clair, je n’avais absolument jamais entendu parler du japonais Daigo Hanada avant que le label québécois qui l’héberge (Moderna Records) ne publie une plutôt jolie compilation en l’honneur du Piano Day (Algorithmics). Cette saint-valentin du modern classical est critiquable pour des raisons évidentes (contenues dans son très réducteur et désobligeant intitulé) mais a parfois le mérite de faire émerger des talents et de donner un coup de projecteur sur ce noble instrument. Pour ne pas paraître trop aigri, il faut retenir ça. Bref, Ichiru (fil en nippon) est le premier album d’un pianiste qui n’était jusqu’alors apparu que sur diverses compilations.
Une fois n’est pas coutume, je vais un peu me répéter. Le sérail « modern classical » doit son salut à l’avènement d’internet, qui aura permis à bon nombres de musiciens médiocres de se fédérer autour d’une mode et d’exposer leurs travaux au plus grand nombre. Point positif, cette émulation discutable aura servi de strapontin aux mélomanes en devenir pour prétendre à des compositions autrement plus abouties.
Alors qu’est ce qui distingue Ichiru de la palanquée de disques qui jaillit chaque semaine des bacs pour attirer le chaland vers l’ivresse de l’ivoire et du noir et blanc ? Au fond, on ne fera pas offense au japonais en émettant l’idée que du point de vue technique, son oeuvre n’invente absolument rien pianistiquement.
Mais peut-être que Daigo Hanada n’a pas ses prétentions, et qu’il ne mérite en rien cet aisé procès d’intention. Son disque est juste beau, et a le mérite de ne pas prendre l’auditeur pour un con.
Ichiru est une succession de comptines célébrant la mélancolie. Le spleen qu’on conserve au plus près de soi pour affronter la nuit. Ces cabrioles qu’on fait dans la neige et sur les lacs gelés avant que le rêve ne fonde. Souvenirs de l’enfance et des disparus qu’on invite à pénétrer la ronde. Ichiru, un disque qui pour les âmes en peine est comme la possibilité d’une île, où l’on accepte avec le sourire mais non sans larmes d’être un babtou fragile.
Outre son goût très vraisemblable pour les chopinades et ce que Nils Frahm a fait de mieux (Wintermusik), ce qui en soi n’est pas critiquable, on pourra reprocher à ce disque de jouer presqu’en permanence sur les mêmes harmonies et sur les mêmes constructions. Sa main gauche égraine en effet très souvent accords et arpèges mineurs quand la main droite agit en simple métronome plaqué dans la rondeur. De même, on pourra considérer que placer des micros au plus près des marteaux et des pédales est agaçant et n’apporte absolument rien (Nils Frahm, encore lui, a érigé ce procédé en art de vivre), si ce n’est de souligner le parti pris intimiste du disque et de ses conditions d’enregistrement.
Le disque aurait donc gagné en densité et en pluralisme si comme sur les très beaux Hue et And This Is How It Ends, Daigo Hanada avait multiplié les variations de motifs techniques et les superpositions de couches.
Malgré ses maigres critiques, Ichiru demeure un très joli disque. Qui a le mérite de se présenter humblement et dans toute sa nudité. Un postulat qui justifie plus que jamais d’être salué. On est jamais trop avares en louanges avec les compagnes et compagnons réguliers de sa nuit.
Les micros dans les marteaux: oui, quel dommage. Inutile beauté lo-fi.