« Dehors, le bush nous attendait, splendide et désolé dans sa robe de latérite rouge. Quelques chênes du désert, parcimonieusement, fixaient un vague cap de contre. Pour le reste, le chaos dominait, un plateau rond, engorgé de buttes à moitié solides, de dunes précaires que le furvent allait dynamiter, rayées de sillons aussi, qu’il aurait été facile d’emprunter par temps de clémence — aujourd’hui potentiellement mortels, puisqu’ils serviraient de lits aux rivières de sable. » (Alain Damasio, La Horde du Contrevent)
Si l’acronyme CMKK ne vous dit sûrement rien, les quatre artistes qui le forment, Celer, Machinefabriek, Romke et Jan Kleefstra, vous sont certainement plus familiers. Extrêmement prolifiques — euphémisme —, Will Long (Celer) et Rutger Zuydervelt (Machinefabriek) multiplient les sorties et les collaborations avec des musiciens tout aussi excellents que les labels sur lesquels leurs albums voient le jour. Une visite de leurs pages Discogs respectives vous en assurera et, surtout, évitera ici d’être exhaustif pour vous le prouver. Si leurs sorties se font moins fréquentes que celles des deux artistes précédemment cités, les travaux des frères Kleefstra n’en sont pas pour autant moins louables, bien au contraire. Jan et Romke sont — entre autres — membres du groupe d’improvisation danois Piiptsjilling (avec Machinefabriek, justement) et font partie du passionnant projet The Alvaret Ensemble, qui avait étincelé l’hiver dernier. Autant vous dire, donc, que la rencontre entre ces quatre compères est, sur le papier, plus que prometteuse. Leur rejeton de trois lettres se nomme Gau, et est sorti en septembre dernier sur le label polonais Monotype Records, géré par Jakub Mikolajczyk.
Gau a vu le jour en mars 2012, en plein cœur de la campagne hollandaise de Frise. Celer, Machinefabriek et les Kleefstra se sont réunis dans un studio du petit village de Gauw (Gau en frison) pour un après-midi entier, suite à une série de concerts qu’ils ont donnés dans les Pays-Bas et la Belgique. Une seule et longue piste de 48 minutes restera des quatre heures d’improvisations qui ont été enregistrées. 48 minutes pendant lesquelles Jan Kleefstra pose sa voix, par intermittence, sur la guitare de son frère et les arrangements électroniques de Celer et Machinefabriek, avec douceur, calme et retenue, comme s’il drapait ces derniers de la délicatesse de ses poèmes pour les élever davantage.
Gau, c’est aussi la traduction en frison de ‘hâtif’. Un album conçu dans un temps très limité, en effet, et dont la rapidité de composition contraste avec l’immobilité de la campagne qui les entoure : tracteurs à l’arrêt, rares arbres et fermes massives habitent un horizon de vert au repos. Mais c’est un calme apparent, que les musiciens renversent progressivement, tel le visuel de la pochette, par de faibles incursions, puis par des bourrasques, virevoltants électroniques qui parcourent les vastes étendues arides des drones de Celer.
Si l’album débute par le grondement du tonnerre que l’on croit entendre au lointain, ce n’est pas pour prévenir d’une tempête qui s’abattrait sur nos oreilles, mais plutôt comme signe d’une vaste énergie latente qui émanerait du quatuor. Une énergie qu’ils distilleraient patiemment, avec maîtrise, qui alimenterait cette improvisation sans faillir et qui rend ainsi l’écoute de Gau si captivante et hypnotique.