« Visage passé par le tamis, les deux yeux renversés, enlevant l’intervalle de vie mourante, et moins. » (Wateau)
Une histoire faite de métamorphoses, de questionnements identitaires, de changements de visages et de couleur musicale. Articulé autour de Gordon Sharp et créé en 1982, le projet Cindytalk a connu différents membres depuis Camouflage Heart, premier album abreuvé d’un post-punk industriel et paru sur Midnight Music. A l’époque, c’est également sur le premier album des Cocteau Twins ou aux côtés de This Mortail Coil que l’on pouvait également trouver la voix de Gordon Sharp.
Les prémices du virage à venir étaient déjà palpables sur les tracés expérimentaux des premiers albums, et après un long silence de presque quinze ans, c’est sont les Editions Mego qui ont accueilli les recherches d’abstraction, désormais sous perfusion électronique, de l’écossais. Entamée avec puissance en 2009 sur The Crackle Of My Soul, la série d’albums se complète aujourd’hui avec l’impressionnant A Life Is Everywhere.
Pistes brouillées, et regards confondus. Ecouter A Life Is Everywhere, c’est être emporté par un torrent sans nom, un flux électrique où les lignes mélodiques se cognent aux drones écorchés et aux décharges de bruit blanc. C’est être pris dans les limites du spectre sonore, dans la stridence corrosive d’une onde aiguisée sur le rebord du vide, dans l’abrupt du vertige. Ni ordre, ni régularité, à peine quelques repères auxquels se raccrocher.
Et pourtant, sous la brutalité et la densité du déferlement jaillissent des faisceaux d’émotions saisissantes révélées par une lutte entre les contrastes. Tintements de carillons avalés par des gouffres sonores saturés, d’où s’échappent quelques nappes de synthé. Splendeur d’un face-à-face de cordes et de bruits déformés, broyés sur eux-mêmes et secoués frénétiquement. Ou le refus d’étouffer sous la saturation aride de l’électronique.
Au jeu des textures, Gordon Sharp fait preuve d’une précision implacable quant au contraste des matières. Ses couches sonores sont à la fois eau et poussière, infiltration et sécheresse. Bourrasques, gargouillements, et vagues de sables propulsées par les pâles du dessèchement. Une maîtrise frappante qui ne fait que briller plus encore au moment d’Interruptum, piste traversée de part en part par le souffle du silence.
A Life Is Everywhere possède également une seconde grille de lecture. Les mots sont à peine visibles mais sont bien là, au dos de la pochette. De Tarkovski à Jean-Luc Godard en passant par Luis Buñuel, chaque piste est également un film. Une manière de creuser un peu plus encore une richesse déjà passionnante.
La vie est partout, et précisément là où l’environnement menacerait de la faire disparaître. Sous les chutes anarchiques d’une électricité asséchée, sous le défoncement des schémas d’équilibre. Derrière le sang rongé, les ongles décalcifiés. Grouillante et assoiffée. Gordon Sharp désagrège le prévisible et l’univoque, glisse des pulsations de vie sous chaque recoin d’ombre créé par les machines. Une des plus lumineuses manières de ne pas mourir.