Enseignante au conservatoire de Strasbourg, Christine Ott est avant tout « connue » pour ses collaborations avec des musiciens établis tels que Yann Tiersen, Tindersticks, Noir Désir, Radiohead ou Dominique A. Elle fait partie des rares véritables spécialistes des ondes Martenot, instrument créé par le musicien du même nom, souvent injustement confondu avec le thérémine, « démocratisé » dans le secteur des musiques concrètes par Pierre Henry tandis qu’on ignore plus ou moins volontairement que cet instrument a aussi fait le succès de bien des chansons inscrites au patrimoine populaire (dans les répertoires de Piaf, Brel, Ferré…). Christine Ott est pourtant, en plus de ses créations pour la danse ou le cinéma, l’auteure d’un premier album tout à fait recommandable : Solitude Nomade, publié en 2009 sur le label Mon Slip (ça ne s’invente pas). Only Silence Remains est quant à lui sorti il y a quelques semaines sur le label toujours discret Gizeh Records, à qui on doit déjà des oeuvres personnelles et atypiques venant de Fieldhead, Aidan Baker ou Glissando.
Ce qui frappe en premier lieu dans la musique de la française, et ce peut-être sans que ce soit une volonté formelle de sa part, c’est sa situation à contre-courant de toutes les scènes auxquelles on voudrait aisément l’associer. Je m’explique. Le « renouveau » de la musique dite classique et les musiques expérimentales n’ont finalement jamais été aussi formatées. La première applique des recettes empruntées aux formats radios pour continuer à exister, à grand renforts de fréquences trop gratuitement émotionnelles et de « refrains » quasiment interchangeables. Les musiques expérimentales sont elles responsables de la réputation élitiste qu’elles colportent, en affichant surtout une volonté du tout abstrait pour mettre une barrière entre elles et les autres, et ainsi rester calfeutrés dans la niche. En ceci, Christine Ott prouve qu’on peut produire une musique « très écrite », dépourvue de concessions, sans s’enfermer dans aucun de ces carcans.
Only Silence Remains n’est pas qu’un album d’ondiste, le piano en est même l’instrument central. C’est le disque d’une compositrice multi-instrumentiste qui n’a pas peur de déléguer. Une succession de scénettes digressant autour de tout ce que la nuit doit aux vestiges du jour, de ce que l’isolement doit au silence quand tout s’ombre aux alentours. Certains pourront voir un manque de liant entre les titres, d’autres s’accorderont sur le fait qu’on enferme pas le silence dans une seule et même ambiance. Parce que tout doit être ré-inventé. Et qu’on sautille variablement dans ses mémoires face à la couleur du souvenir.
Ainsi, parfois la mélancolie se conjugue au sourire, à ses étoiles scintillantes qui malgré la Tempête ne changeront pas de place. On pleure aussi, dans ces cavalcades pianistiques où l’on joue à la marelle dans les graves tracés d’un violoncelle (Szczecin). Où jusqu’à en perdre haleine on Danse avec la neige parmi « ces voix venus d’un autre monde ». Comme pour en préserver la source, avant qu’elle ne fonde.
Only Silence Remains est une oeuvre mystérieuse, transmettant des sensations ambivalentes mais pérennes. Un disque ouvert, qui a le mérite de véritablement expérimenter sans se perdre. Un disque où règne la divagation mais où rien n’est laissé au hasard.
Ainsi, Christine Ott répond au silence restant, offrant sa mémoire en feu grégeois. Les dernières mesures me renvoient aux vers de Ghérasim Luca.
J’efface avec volupté
l’oeil qui a déjà vu
les lèvres qui ont déjà embrassé
et le cerveau qui a déjà pensé
telles des allumettes
qui ne servent qu’une seule fois
Tout doit être ré-inventé