Tout le monde ou presque connaît Prologue et tout le monde ou presque adore Prologue. Partant de ce constat propre au rachitisme du microcosme Techno, on peut se demander quel intérêt peut-il y avoir à ressasser les prouesses noisy et éthérées si caractéristiques du label munichois – pensez entre autres à Voices From The Lake, ou encore Reality Is Wrong de Milton Bradley –. Et bien chers lecteurs et lectrices, il n’y en a aucun… Si ce n’est peut être d’envisager les raisons de ce succès, à travers le prisme de la dernière sortie de Cassegrain, Tiamat, car croyez-le ou non, succès il y a !
On se souvient des débuts de Cassegrain sur Mikrowave, puis Prologue, de leurs prouesses aux côtés de Tin Man sur Killekill – Carnal – EP. Le duo britannico-germanique, fort d’une identité sonore franche et bien reconnaissable, faisait alors tonner ses canons sciés sur des expéditions Techno froides, jalonnées de percs et reverb insistantes. Rien de bien novateur me rétorquera-t-on avec bon sens.
En revanche, une fois repus des amuse-gueules contractuels de nos hôtes, nous découvrions, étonnés, un second souffle à leurs sorties et plus particulièrement sur Prologue – Dropa, Coptic, Tiamat –. Peu à peu détournée de l’évidence sonore, le Blaast, notre attention voguait alors plus aisément vers les bruissements cristallins, tintements métalliques et autres courants d’air qui enveloppent, avouons-le, admirablement bien la plupart de leurs productions et tout particulièrement Tiamat – cf. Turn Aside –.
Et justement, ce qui est intéressant c’est que là où commence le réel attrait des productions de Cassegrain s’arrête celui de la Techno à proprement parler. Il ne s’agit pas ici de réfuter l’identité fondamentalement (Deep) Techno de nos légumiers préférés mais plutôt de relever sous ce décorum de codes et rythmiques usés jusqu’à la moelle, la portée et la richesse de leur musique.
Au fil des écoutes, nous découvrons une taïga indigo, mue par l’érosion fluvioglaciaire – cf. Joule –, parcourue de flux aériens inaudibles – cf. Tiamat – à l’oreille nue, non initiée. Voilà ce que garde si jalousement le formalisme de Tiamat et plus globalement la Deep Techno de qualité.
La Techno telle que l’envisage le duo apparaît alors comme un lent recul focal ; un repli mental vers le confinement du tangible et l’épanouissement de la plus pure forme d’art pictural, l’imagination. Tout comme on apprécie la portée d’un récit elliptique, sa retenue, on aime chez Cassegrain la clairvoyance de l’épure, la force évocatrice des silences. L’art du fourmillement en somme.
C’est ainsi, en construisant leur univers respectif autour du détournement de la forme primaire et d’une capacité unique à produire des créateurs d’abstraction de génie que des labels tels que Stroboscopic Artefacts – cf. Stellate I à IV –, Avian ou encore Prologue, ont su préserver et préservent encore aujourd’hui le mouvement Techno de l’asphyxie.
« (Il) faut entendre au fond de toutes les musiques l’air sans notes, fait pour nous, l’air de la Mort. », Louis Ferdinand Céline, Voyage au Bout de la Nuit.