Chers lecteurs, chères lectrices, permettez-nous, par cette brève appendice, de ne pas bêtement éluder les dernières perles de cette année révolue. Accordez-nous un court instant pour reprendre notre souffle avant de nous jeter, toutes canines dehors, sur cette nouvelle année. Permettez-nous ainsi de vous parler d’une sortie passée inaperçue, tue à la faveur de la clameur des tops et autres charts, noyée sous les flots vermillon et parasités de la fin d’année.
Sorti sur le label Slovaque Proto-Sites, A-Sites se présente sous la forme d’un split album, format peu en vogue à l’heure actuelle mais qui se révèle pourtant tout à fait pertinent lorsqu’il permet, comme c’est le cas ici, de faire se côtoyer deux univers complémentaires dans un jeu de synergies sonores et asymétries axiales des plus appréciables. Cet exercice exige cependant que l’on apporte un soin minutieux au choix des artistes et styles. Dans la configuration présente, viennent se tutoyer l’Ambient cosmique de l’artiste slovaque Casi Cada Minuto et l’Expé House hexagonale du hongrois Imre Kiss.
Le premier est un compositeur de musique expérimentale et auteur de l’excellent In White Rooms, série de dripping en apesanteur sortie en 2012 sur Exitab. Le second est un de ces trésors bien gardés, un de ces artisans de l’ombre, talents taciturnes dont les productions n’ont besoin d’aucun discours pour convaincre. Qu’elles soient agrémentées de murmures réarticulés, d’échos sylvestres ou d’empâtements longilignes, les productions d’Imre Kiss laissent rarement indifférent, à l’instar de l’étourdissant Midnight Wave sorti sur Farbwechsel – label dont on vous avait parlé ici notamment – ou encore du très complet Raw Energy sur Lobster Theremin. Permettez donc que nous nous penchions de plus près sur cet alléchant diptyque.
Le premier volet de l’album est constitué de trois tracks Ambient / Drone spatiales adroitement nuancées. Celles-ci sont globalement marquées par l’usage de synthétiseurs old school et de sonorités Kosmische nostalgiques – cf. les transmissions satellitaires de Intonarumori. Parmi ces trois productions de qualité, notons en particulier la beauté singulière d’In Vain, lente trainée Drone, météore éblouissant, naissance et mort d’un éclat lacrymal sur le seuil de la Troposphère.
Le second volet laisse place à la fougue de jeune hongrois, à son talent d’expérimentateur sur House. Imre Kiss affine ici son empreinte, pieds et mains plongés dans un cambouis tenace, les yeux enfumés, rivés sur la voute – cf. Untitled (XLB). 3 tracks, autant de halos et signaux lumineux nimbés d’une brume épaisse, Imre Kiss se plait à brouiller ses esquisses, à les envelopper d’un écrin de textures lo-fi et le fait avec classe. Une fois de plus, le budapestois se saisit de notre oreille, scalpel en main experte, pour y ciseler d’imparables développements mélodiques. En témoigne l’insondable cavalcade Urizen – en duo avec son compatriote et autre surdoué S Olbricht –, plongée contrainte vers le cœur de l’abime entre tachycardie et noirceur océane, nous nous laissons sombrer, entrainés par un leste dont nous ne pouvons nous défaire. Leçon de style.
L’habileté de ce split EP réside bien évidemment dans la beauté troublante des productions proposées mais aussi dans le contraste des tracks mises en parallèle; ce même contraste qui s’atténuera au fil des écoutes pour, in fine, laisser place à une vaste fresque, narration mouvante, ponctuée de péripéties, récit partitionné et pourtant unique dans lequel ne saurait subsister l’ennui. Une sortie qui offre par la même occasion un bel aperçu de la richesse de l’underground oriental et de l’éclosion de talents particulièrement prometteurs en Europe de l’Est.
PS : L’album s’est vu offrir un somptueux pressage sur vinyle rouge transparent. Avis aux amateurs et collectionneurs, ne trainez pas, l’objet est déjà presque sold out.