Déjà auteur d’un inégal premier album l’an dernier (The Base of All Beauty Is The Body), le collectif Body Sculptures réunit la crème de deux des labels scandinaves le plus souvent plébiscités dans nos pages : Northern Electronics et Posh Isolation. Articulé autour de Varg, Puce Mary, Loke Rahbek (Damien Dubrovnik, Croatian Amor…), Erik Enocksson et Vit Fana, ce projet tente de faire la fusion et l’alliage des principaux courants exposés sur les dits labels, à savoir l’ambient, la synth-wave et le noise. Aussi bien dans le mainstream que dans ce qu’on appelle encore parfois l’underground, de tels castings et de telles entreprises aboutissent souvent à un pétard mouillé, voire pire : à un foutage de gueule en règle. Réjouissons nous donc et ce sans la moindre entrave, car les jurisprudences sont faites pour contrecarrer les certitudes.
J’avoue sans mal que les récents travaux de Varg, se réfugiant souvent dans la contrainte du lo-fi et du tout analo, m’ont souvent presque autant agacé que bien des envolées synthétiques émanant du pourtant fulgurant projet Croatian Amor. J’attaquais donc ce disque avec craintes, et avec la sévère impression lors des premières écoutes que chacun avait conçu ses parties à l’arrache et à distance, dans la droite lignée des sacerdoces keupons et DIY souvent mis en avant par les différents artistes ici présents.
Une véritable synergie de compétences est en fait ici déployée, où chacun se met au service d’une dynamique artistique collective, parvenant à réaliser un album doté certes d’une profonde noirceur, mais aussi d’une étrange forme de légèreté ainsi que d’une élégance absolue.
A Body Turns To Eden est un venin à diffusion lente mais certaine, où la beauté de ses corps est aussi bien déclinée dans leurs moments de grâce que dans leurs plus pures aspérités. Un jardin d’Eden où les fleurs du mal convoquent à la fois stupre et romantisme, où de fines dentelles côtoient la toxicité de fréquences malaisantes, et où l’on peut toucher le ciel du doigt en ayant laissé son auréole au bestiaire.
Si la quasi-omniprésence de synthés si spécifique pourra en rebuter plus d’un(e), la cohérence narrative et la cohésion de l’ensemble feront sans mal oublier la discrétion de Puce Mary et l’absence des pamphlets crachés par Loke Rahbek. Elle poussera également à considérer Feet Into Soil, The Pyre et Turning Field et autre A Collection of Ceramic Vases (Yves Saint Laurent Buried In The Garden Of His Marrakesh Home) comme de grands moments de bravoure, où le souvenir encore vif des nuits de l’écorchure se voit résilié par la sensualité d’un abat-jour.
Enregistré volontairement dans des conditions douteuses, A Body Turns To Eden est une réussite particulièrement inattendue qui fera son office avec le temps. Jusqu’à en devenir un album de chevet, dont on s’abreuvera jusqu’à la lie pour oublier à quel point le monde est laid.