Au royaume des musiques électroniques indépendantes et alternatives, certains sujets cristallisent les attentes et les passions plus que d’autres. Y compris dans des travées moins exposées, dans les interstices d’un marasme trop clinquant. Même si la reconnaissance de l’allemand Thomas Bücker prend toujours un peu plus d’ampleur à chaque disque, sa communauté de suiveurs demeure relativement confidentielle, unie simplement par l’attente d’un nouveau chapitre. Musique classique numérique, electronica céleste, batteries virtuelles revenues du jazz ? Tout ceci, et rien de celà. Ainsi pourrait-on définir la musique du seul chef d’un orchestre qui n’existe pas. Après un éponyme qui posait les pierres de la révélation et un II qui confirmait l’essai en réalisant l’exploit de faire au moins aussi bien, l’exquis Bersarin Quartett révélait le mois dernier son troisième tome. Toujours sur Denovali, label expansionniste qui a connu bien des fulgurances mais qui semble aujourd’hui tourné vers un post-rock indigent, un metal prétentieux, des ré-éditions opportunistes et des compositions vaguement classiques que seuls les fans d’Erased Tapes semblent en mesure de pouvoir digérer (les albums de Field Rotation et du français Witxes ne sont pas concernés). Faisons le choix de n’évoquer que très peu la campagne de « communication » et le compte à rebours lancé plus de deux ans plus tôt pour annoncer l’album, concentrons nous sur l’essentiel.
Depuis ses débuts, dans la langue de Goethe, Bersarin Quartett applique de la poussière d’étoiles sur les ailes des tombés du nid. Il permet à l’auditeur de tutoyer le ciel sans risquer de le vexer, redéfinissant les contours de chaque aube dans un ballet de saignées pourpres et dorées. Ses mélodies immédiates rondement menées et son génie d' »orchestration » sont au service d’une volonté simple : nous emmener loin des hommes, entre ciel et terre, là où l’on conservera au plus près de soi, avec soin et secret, cette mélancolie souriante, ce spleen heureux en souvenir des disparus et face aux rêves non parvenus.
L’allemand a refait le coup, presque à l’identique, dans le procédé du moins. Même chez les déçus relatifs, il serait louable d’avouer que c’est ce que nous attendions tous de lui. Parce qu’encore plus en ces temps troublés, où seule la froideur, la darkitude et la violence récoltent louanges, ses mélodies immédiates, ses nappes vaporisées et la chaleur de ses faux crins nous font du bien.
Les frontières entre l’onirique, le new-age et le kitsch n’ont pourtant jamais été aussi ténues. Peut-être la faute à un tracklist doté de moins de force, de cohérence et de liant que sur ses illustres prédécesseurs. Pourtant, cet état de fait et l’utilisation habile de strapontins émotionnels attendus (violonnades et accents cinématographiques) ne pousseront à aucun moment à dresser cet album au rang de déception. Rien que le trio Sanft verblassen die Geschichten / Es ist alles schon gesagt / Scwarzer Regen fällt l’inscrive dans un certain renouveau de composition, si on accepte de constater qu’en plus de basses bien plus fouillées et de cuts foutrement bien conçus, certains processings et textures sont bien autrement sculptés qu’à l’accoutumée.
On savait dès le départ ce projet aussi original que limité. Pour ne pas épuiser une oeuvre globale qui n’a souffert d’aucune concurrence sérieuse, III se doit de signer la fin d’un cycle poussé à ses limites. Alors que la suite lui appartient et que nous espérons que le meilleur soit encore à venir, Bersarin Quartett aura conçu une remarquable trilogie qu’on continuera de se prendre en pleine ganache les yeux tournés vers le ciel. Juste au cas où des bombes plus sales finissaient par nous tomber dessus…