On lit à peu près partout ce que dit John Zorn à propos de Bérangère Maximin. Quand on lit ou écoute ce qu’elle dit de sa musique ou à propos d’elle-même, on est presque immédiatement subjugué par l’intelligence du discours, par l’absence de compromis, de conformisme et de toutes ces vaines postures qui sont pourtant légions dans le sérail où elle officie. Nous avions déjà abordé son parcours il y a deux ans, à l’occasion de la sortie de son excellentissime Infinitesimal . A l’heure où la libre artiste parisienne (étiquetée comme « enfant terrible » de la musique concrète par les manutentionnaires du buzz) parcourt les plus belles scènes d’Europe et d’ailleurs (aux côtés de Tim Hecker, pour ne citer que lui), profitons-en pour revenir sur son remarquable dernier effort : Dangerous Orbits, sur Crammed Discs dans le cadre des Made to Measure Series.
A tort ou à raison, la « laptop music » est dotée d’une réputation de froideur et d’un caractère déshunamisé. L’album dont il est aujourd’hui question est une des preuves ultimes pour renvoyer ses potentielles accusations en premières cibles à ceux qui la composent. Comme sur l’acclamé Infinitesimal, Bérangère Maximin prouve que la manière de concevoir le mix relève parfois de l’ingénierie, et que dans cette discipline, rien n’est le fruit du hasard. Si sur le précédent opus l’ influence des plus grands laborantins de studios jamaïcains des 70’s pouvait paraître évidente, elle se révèle ici moins frontale et plus suggérée, et ce même si le montage des basses en général et la clôture No Guru Holds Me sont maculées de ce même savoir faire.
La parisienne excelle dans l’art de mouvoir les objets sonores dans un espace dense. Ainsi, entre la douche de textures et la fournaise de souffles, elle confirme ici encore ses immenses talents de sculptrice sonore et d’orfèvre des contrastes. Ainsi, durant tout le disque, elle amène d’apparents mécanismes répétitifs pour insidieusement faire évoluer chaque tableau dans une expérience chamanique au long cours. Cracks, Glow et surtout A Day Closer (avec son insecte pénétrant peu à peu les synapses) transposent donc l’auditeur sur de tortueuses couches en glissement permanent, dont les substances magmatiques apportent une « couleur » générale sombre mais particulièrement torride.
J’avais posé l’adjectif « borderline » à propos de la teneur d’Infinitesimal. Sans vouloir porter un diagnostic lourd de sens à propos d’une artiste que je ne connais pas, et dont la musique est forcément libre d’interprétation, je trouve qu’il s’échappe de Dangerous Orbits ces même sentiments de flirts avec les contours, cet état d’urgence de composition qui n’a jamais vocation à déranger ou à obséder pour le simple plaisir de le faire, mais qui fait inlassablement appel au charnel et au viscéral.
Bienvenue donc en jungle urbaine, en climats tantôt malaisants tantôt délicieux, toujours hypnotiques, où la fonte et la combustion cohabitent sans que jamais rien ne s’y effondre. Telle la caresse d’une houri sur le champ de bataille, Dangerous Orbits est une expérience qui se vit et bouscule jusque dans les entrailles.
Bérangère Maximin confirme ici un niveau d’excellence rarement atteint ces temps-ci en France. Son nouveau disque devrait squatter mes platines de manière aussi obsédantes que les plus récentes oeuvres, même si très différentes, de Hecq et Evan Caminiti. Les programmateurs de France et de Navarre seraient fort inspirés de convier en leur sein cette artiste géniale et passionnante qui en plus fait partie des trop rares à se produire en live. A écouter sur une installation de qualité, jusqu’à en abattre les murs.