Artiste expérimental américain, Ben Fleury-Steiner est le tenancier du label méconnu Gears Of Sand. Si il y a avant tout sorti ses propres réalisations, sous d’autres avatars (Paradin, Light Of Shipwreck) et au sein de duos (From the White Chimneys, Tin Moth’s Breath), il a également accueilli ou collaboré avec des gens sérieux tels Saito Koji ou Aidan Baker. Après s’être autorisé quelques sorties chez l’italien Umbra ou sur le Low Point de Gareth Hardwick, il est invité par le toujours inspiré et inspirant Rural Colours (affilié à Hibernate), qui a publié l’année dernière d’excellents travaux de Wil Bolton, Two people in a Room et Hakobune. Clearings est sorti il y a une petite quinzaine de jours. Les habitués de chez Rural Colours savent donc qu’ils doivent faire vite si ils souhaitent acquérir son enveloppe charnelle.
Exceptée l’importante présence des kalimbas, la formule de composition de l’américain est en fait assez classique. Drones de gratte, pédales d’effets, fields recordings, synthés modulaires et finition au laptop. Sa musique puise son originalité dans son environnement direct, dans son terreau natal : les paysages et territoires humides du Delaware. Un bocage qui n’a rien de Poitevin.
Trois titres pour un peu moins de 45 minutes d’errance partiellement éveillée, entre clairières ombragées, marécages et eaux stagnantes. Du clair obscur, des sensations ambivalentes. Haut pouvoir de suggestion visuelle, oppression sage et passagère, sentiers irréels pour âmes grises traînant parmi les spectres à la lisière.
Des fragments mélodiques, feutrés, aux senteurs de cuivre et d’origines incontrôlées, vont et viennent, obsèdent et dérangent comme il faut, pour maintenir en place le besoin d’immersion toujours plus imposant au gré des écoutes. On varie les contextes pour déterminer le plus propice. La fin de la nuit, ou le début du jour. Quand l’obscurité se drape de brume pour parfumer de mystères les alentours.
A l’aussi beau qu’ambigu Wind Up Bird’s Lament succèdent les fausses longueurs de Parallax. Cette pluie qui dessine des plaies souriantes dans la boue aussi. Pour renouer avec le sentiment d’élégie, mais surtout pour annoncer ce pourquoi la faune a fui. Glade, dont les jeux de volumes, d’ondulation de basses profondes délimitent d’invisibles frontières. Mirages, point de noces funèbres pour l’état sauvage. Entre la luxuriance humide et les sentiers de la perdition. Fantômatiques beautés perfides contre bestiaux crevés en infusion.
Oeuvre aussi détaillée que contrastée, Clearings est une tendre mais mortifère embrassade en zone de chasse. En route pour la joie, ça aussi le vent l’emportera.