La jeune Kato Hoeven (Lynn Van Royen) se réveille ensanglantée et en sursaut dans la chambre 108 de l’hôtel Beau Séjour, bâtiment aussi lugubre que fascinant, qui siège au bord d’un affluent de la Meuse dans le village flamand de Dilsen Stokkem.
Comme si la qualité discutable de la carte postale au réveil ne suffisait pas, Kato a l’heureuse surprise de faire face à son propre cadavre.
Littéralement paniquée, elle court retrouver sa mère (Inge Paulussen), qui bien évidemment ne la voit pas et est bien trop affairée à la chercher puisqu’elle n’a plus de nouvelles d’elle depuis la veille au soir. Kato est donc la prisonnière d’un « hors champ », où elle assiste impuissante à la détresse de ses proches, et ira jusqu’à être la témoin du début de son autopsie et de sa messe funèbre. Pour des raisons qu’on ignore au départ, Kato est malgré tout visible et palpable par cinq personnes de son entourage.
Par son alcoolique de père (Kris Cuppens), son envieuse demi-soeur (Charlotte Timmers), le commissaire de police (Johan Van Assche) qui accessoirement est le père de son ex petit ami (Marten Nuulens), le séduisant mais très instable Charlie (cousin de l’ex petit ami et beau fils du commissaire, interprété par Joren Seldeslachts) et par une amie moins ingénue qu’elle n’y paraît (Joke Emmers).
Auprès et indépendamment d’eux, parallèlement à celle que livre un duo d’inspectrices fédérales, Kato va mener l’enquête sur le crime dont elle est la victime.
La photographie est aussi austère et blafarde que le teint des habitants. Un véritable hymne à l’humide, et au vert de gris. Non loin de la frontière néerlandaise, les habitants de cette commune rurale font le plein de fun sur les pistes de motocross ou dans les travées du stand de tir. Les plus âgés vont au bistrot ou bouffent des mitraillettes (sauce andalouse) à la friterie, quand les plus jeunes prennent parfois des tazs sous les basses d’une mauvaise techno. Au megadancing, comme ils disent, ou dans des fêtes de village.
Ils se connaissent tous. Ils ont pour la plupart passé toute leur vie là, entretenant cet « hors temps » commun. Il y a entre eux des liens et des contentieux qu’on ignore. Tant et tellement qu’on peut tous les soupçonner du pire.
Sous une capuche qu’ils ne voient pas tous mais qui fait office de seul astre lumineux, Kato navigue comme elle peut au gré des innombrables fausses pistes, des jeux de dupes et des intrigues de familles (re)décomposées.
Le parti pris de la saison unique pour une mini-série a quelque chose de reposant. Point de course à l’audimat, réduction des épisodes au nombre de l’essentiel, non renouvellement des réalisateurs et scénaristes. Mais ça comporte aussi des limites.
Car quand on fait le choix, comme c’est le cas ici, de privilégier l’intrigue au détriment de l’action, d’accumuler les très beaux mais étranges et contemplatifs plans ruraux dont on ne saisira le véritable sens qu’à la toute fin, on prend le risque de cliver. Et de perdre les plus impatients au milieu de l’enquête.
On pourrait aussi regretter que les traits psychologiques et le passé des protagonistes ne soient pas développés plus amplement. Tout comme Kato, même si pour elle c’est autrement plus entendable puisqu’elle est morte, les habitants n’existent qu’à travers ce qu’ils ont en commun. Et manquent donc un peu de substance individuellement. Encore une fois, c’est à mettre au crédit (ou au passif) du choix de l’intrigue reserrée en vase clos.
Beau Séjour n’en est pas moins addictive pour autant. Grâce tout d’abord à une qualité de réalisation très au dessus de la moyenne. A une intrigue parfaitement ficelée malgré ses incalculables ramifications et rebondissements. Mais surtout pour l’empathie qu’on développe rapidement pour la plupart des habitants. Quels que soient leurs travers, leurs lourds secrets, leurs degrés de complicité ou d’implication, les deux réalisatrices posent sur chacun d’eux un regard humain et bienveillant.
Même si les plus impatients pourront peut-être lui reprocher un rythme aussi affable que le climat qui l’abrite, la série prendra sa pleine vitesse de croisière à l’entame du septième épisode jusqu’à son surprenant dénouement final.
Précisons qu’en terme d’interprétation, les femmes prennent clairement l’ascendant. Outre la constante justesse de la jeune héroine, le format peut s’appuyer sur au moins deux seconds rôles particulièrement convaincants : La glaciale inspectrice allemande (avouons le, l’autre ne sert absolument à rien) interprétée par Katrin Lohmann, qui irradie littéralement l’objectif de sa classe magnétique. Et la grand mère de Kato, dotée d’une gueule cassée comme seule la Belgique sait en révéler, magistralement jouée par Reinhilde Decleir.
Avec des fortunes discutables, le cinéma avait déjà utilisé des héros morts partiellement invisibles (Ghost, Sixième Sens…) quand les séries commencent tout juste à explorer les thèmes de la mort et du deuil (Les Revenants, The Leftovers). En comparaison de tous ceux-là, les proportions métaphysiques de Beau Séjour s’estompent très rapidement pour laisser place à un réalisme confondant.
Après la très réussie La Trève (diffusée l’année dernière), la Belgique offre désormais en terme de séries autant de promesses qu’en matière de cinéma. Beau Séjour est pour moi et de très loin la série la plus réussie de ce début d’année. Elle vous est donc très chaudement recommandée. La période de replay sur Arte est aujourd’hui achevée. Les heureux abonnés à Netfix pourront se rattraper.
Sinon, il y a le Bluray (loin de moi l’idée de vous pousser au streaming et au téléchargement illégal). Mais seulement en version originale, pour s’initier à cette « belle » langue gutturale.