Le parisien Désiré Niamké, aka Aho Ssan, vient de s’ouvrir les portes du parfois génial label Subtext, étrangement sans faire trop de remous. Je n’avais pour ma part absolument jamais entendu parler de lui. J’apprends donc en même temps que vous qu’il a participé au Berlin Atonal de 2019, étudié le graphisme et le cinéma avant de se lancer dans la musique et de collaborer régulièrement avec l’IRCAM.
Pour son premier essai discographique, il s’inspire très librement des notions de « simulacre » énoncées par le philosophe Jean Baudrillard, à qui l’on doit autant de fulgurances intellectuelles (analyse du terrorisme, sémiologie usant de la psychanalyse et d’un marxisme réformé…) que de flatulences réactionnaires (propos sur le sida et l’homosexualité, camouflage verbeux, beta intersectionnelle…). Je ne vais donc m’attarder que très furtivement sur les références et concepts de base, en disant simplement que le parisien a transposé son vécu de jeune noir vivant en banlieue à sa digitale bande son afrofuturiste rêvée. Ajoutons à cela le contexte de crise identitaire français et ses grandes théories d’assimilation/intégration, on pourrait être en droit d’espérer un album aussi rageux que véloce. Encore plus où à l’heure où le tout modulaire n’en peut plus d’être célébré, le parisien aurait vraisemblablement composé cet album uniquement avec Max/Msp.
J’avoue qu’au premier abord, connaissant les propos de Baudrillard sur l’art contemporain, et après avoir écouté viteuf un court extrait qui m’évoquait au premier abord surtout un simulacre ou une copie d’un Access To Arasaka méchamment upgradé, j’ai longtemps repoussé le moment d’une écoute attentive de cet album dans son entièreté.
Ce qui désarçonne en premier lieu dans cet album, c’est la puissance de la dynamique insufflant ce climat de destruction. Comme chaque particule passée au sas de compression se révèle en létale sous-munition. Et quand les bourrasques cybernétiques apprennent à se taire comme elles le peuvent quand un ange passe, c’est pour dresser les apparats d’un romantisme désertique et lunaire scintillant. Et au milieu des chimères décimées par ce totalitaire état dystopique proclamé, les plus imaginatifs pourraient même entrevoir les vestiges d’un orchestre de cuivres et de cordes aliéné.
Jamais aussi proche de la caresse que de la saignée, la légende voudrait qu’un papillon soit sorti de l’effet d’absorption des trous noirs pour polliniser les charniers. Parce qu’aussi éprouvante puisse être cette cybernétique odyssée, le plus troublant est qu’elle n’est jamais dépourvue d’émotion et d’humanité.
Aho Ssan, un archange aveugle par qui sonne le glas, dont la puissance ne saurait pâlir puisque sa main ne tremble pas.
Orfèvre de la compression et du souffle, le parisien signe là rien que le plus bel album sorti chez Subtext depuis l’Aftertime de Roly Porter. Inutile donc de préciser à quel point cette oeuvre exceptionnelle vous est plus que vivement recommandée.